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POETÆ MINORES.

ses dangers. À peine enseveli dans sa retraite, Remi fut appelé auprès d’une jeune et belle mourante qu’il sauva, et dont il finit par s’éprendre. C’était une riche héritière anglaise : la mère consentit au mariage, et bientôt on partit pour Londres avec l’espérance de faire entendre raison au père de la fiancée,

Au superbe Néron de la communauté.

La requête de Remi, quoique rédigée sur vélin, fut mal accueillie. On juge du désespoir de notre docteur. Ce n’était pas assez : brutalement provoqué par le frère de la jeune fille, Remi, dans ce duel inattendu, devint meurtrier malgré lui. Revenu en France, où la faillite d’un notaire ami ne tarda pas à le ruiner, le héros du poème alla s’établir à Bièvre et y pratiquer obscurément son art avec toute sorte de vertus. Les dévouemens ne lui coûtaient pas, et il se dépouillait pour les malheureux. C’est ainsi que sa vie se passait en bonnes œuvres, quand un jour une insurrection d’ouvriers eut lieu à Bièvre contre un riche industriel. Aussitôt, en bienfaiteur aimé du canton, l’honnête médecin s’efforce de calmer l’orage. Mais, tandis qu’il pérore, la justice arrive : on le prend pour le chef de la révolte, on l’arrête, et bientôt la prison le tue sans qu’il daigne se justifier.

Voilà toute l’histoire. M. Tourte serait probablement fort embarrassé de dire à quel titre il déduit d’une pareille fable de creuses théories d’association et de fraternité. Il est fâcheux que le style ne vienne pas relever la pauvreté de cette invention. Ce sont incessamment des portes éventrées, des calus de l’athéisme, des brises soyeuses, des baisers corrosifs, en un mot, la langue forcée et sans naturel des écrivains qui croient grossir l’idée en grossissant le mot. Les épithètes de crispé et de tordu, qui reviennent à chaque instant, correspondent trop bien à la manière de l’auteur et la caractérisent plus qu’il ne faudrait. Quelques détails heureux, certains souffles de poésie çà et là ne nous semblent point racheter suffisamment ce qu’il y a de malsain dans ce poème avorté. En somme, la muse populaire du travail a inspiré M. Tourte moins heureusement encore que n’avait fait, pour ses devanciers de tout à l’heure, la muse mondaine des loisirs. L’inspiration véritable, on le voit, est partout absente, aussi bien dans l’atelier que dans le salon.

Si je ne m’abuse, les pages qu’on vient de lire ont rendu évidente, par les faits, la conclusion anticipée que nous énoncions dès l’abord. Il y a plus de dix ans déjà que ce mouvement poétique, mal connu des intéressés eux-mêmes qui s’ignorent les uns les