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alors l’arme tombe des mains, et le ridicule de tout à l’heure n’inspire plus que la tristesse. Ce n’est pas que nous voulions interdire la poésie aux ouvriers ; Burns et Jasmin sont des argumens sans réplique. Mais, chez les ouvriers, la poésie que n’accompagne pas le talent est bien autrement dangereuse que dans les salons. Là, elle n’engage que l’amour-propre ; ici, elle compromet la vie. Qui nierait pourtant qu’un bon ouvrier vaut mieux qu’un méchant poète ? Par malheur toutes les vanités se ressemblent, et la vanité populaire est aussi rétive que la vanité aristocratique. On en a vu dans ces derniers temps de trop convaincans exemples.

Ces réflexions nous sont suggérées par un poème intitulé : Remi, ou Croyance et Martyre[1], que vient de publier l’auteur de quelques strophes assez remarquables insérées précédemment dans les Poésies sociales des Ouvriers. Comment ne pas dire tout d’abord à M. Francis Tourte qu’il est dans la plus fausse voie, et que, malgré quelque mérite et une certaine chaleur de diction, son poème est un très médiocre poème ? comment lui dissimuler que cette muse endimanchée qui, pour parler avec l’auteur, a appris à lire aux enseignes, ne dit rien de neuf et ne sait qu’introduire en des rimes incorrectes le patois du fouriérisme ? Le livre serait fort innocent sans toutes ces prétentions. Ce n’est pas que M. Tourte renonce au travail ; mais on voit trop les efforts que cette résolution lui coûte, quand il s’écrie dans sa préface « J’ai vaincu l’inspiration… J’ai fait du géant un pygmée. » Voilà à nu les résultats de cette poésie envahissante et souffreteuse que nous déplorions à l’instant. Ailleurs ces postures d’athlète n’amèneraient que le sourire.

Il va sans dire que le Remi de M. Tourte est une ame incomprise, un Monthyon inconnu, un autre Christ, lequel sert à démontrer que la charité est l’auge du prolétaire, que les manufacturiers sont des négriers et des inquisiteurs, et autres assertions des temps d’émeute. Or on ne sait vraiment comment l’honnête Remi, docteur en médecine et héros de cette histoire, se trouve amener par ses aventures biographiques tant d’amplifications industrielles et humanitaires. Remi est un étudiant austère et morose qui finit par devenir un praticien sans clientelle. Il allait entrer dans les armées impériales quand une pièce de vers contre l’esprit de conquête le força de se réfugier au plus vite sur les côtes de Normandie. Pourquoi aussi s’avisait-il de faire des vers ? M. Tourte conviendra que la poésie a

  1. Un vol. in-8o, chez Comon, quai Malaquais, 15.