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POETÆ MINORES.

il suffira de citer l’autographe suivant du plus débonnaire complimenteur de notre temps. Le billet de M. Émile Deschamps ne sera pas sans prix dans l’histoire littéraire des minores et des minimissimi : « Bravo ! mon cher Belmontet ; c’est encore plus beau d’exécution que de composition, si cela est possible. Je raffole de votre ode, qui est aussi haute que la gloire qu’elle célèbre. Jamais, cher poète, vous n’avez fait vous-même rien de si complètement beau. Quelle forme sculptée ! quelles rimes ! quelle large harmonie ! comme l’art chez vous est au niveau de la pensée ! Merci et bravo encore. » Les auteurs dramatiques se plaignent de manquer de sujets de comédies ; il y en a un pourtant qui serait piquant. On pourrait prendre pour titre : Les Poètes entre eux.

L’examen particulier auquel nous nous sommes livré jusqu’ici semble avoir précisé dans les détails, justifié dans l’ensemble, nos assertions du commencement. Presque partout, sous l’affectation d’une manière distincte ou nouvelle, n’avons-nous pas eu à constater en effet une tendance permanente à l’imitation ? Le plus souvent, la couleur individuelle est tellement insaisissable, qu’on ne s’aperçoit pas quand on change de volume ; c’est toujours le même auteur qu’on lit, ici plus correct, là plus négligé. Partout se découvrent des horizons pareils à travers le même voile brumeux de poésie. Chez les femmes qui font des vers, cette identité continue de sentimens, cette ressemblance de mélodie facile, sont plus manifestes encore. Ainsi, nous avons sous les yeux trois recueils écrits, l’un à Paris par Mlle Mélanie de Grandmaison, l’autre à Dijon par Mlle Antoinette Quarré, un troisième à Riom par Mme Félicie Bayle-Mouillard. Voilà des volumes d’origines bien diverses : il semble qu’une jeune personne du monde parisien, une lingère bourguignonne et la femme d’un magistrat de province, précédemment couronnée par l’institut pour un livre de philosophie morale, ne devraient ni puiser aux mêmes sources d’inspiration, ni user d’une langue absolument analogue. C’est pourtant ce qui est arrivé. Mon Dieu ! je n’en disconviens pas, il y a quelque talent dans les Roses et Soucis[1] de Mlle de Grandmaison, il y en a plus encore dans le volume de Mme Mouillard et dans les poésies de Mlle Quarré ; c’est tant pis. Cette égale répartition du don poétique sur tous les points montre à n’en pas douter comment la facture, comment l’image, comment une certaine forme mélodieuse sont de plus en plus sous la main de tous. En lisant at-

  1. Un vol. in-8o, chez Amyot, rue de la Paix, 6.