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POETÆ MINORES.

Toute cette poésie mondaine a son agrément, et je ne sais quel parfum suave en reste. Est-ce elle pourtant qui nous donnera ce que jusqu’ici nous cherchons, sans l’avoir rencontré, un poète original ? Assurément non. Serons-nous plus heureux en interrogeant le groupe dispersé et peu fourni aujourd’hui des indisciplinables et des excentriques ? Dans la préface des Cariatides[1], M. Théodore de Banville craint précisément d’avoir à un trop haut degré cet esprit créateur qui partout nous semble faire défaut. Pour se rassurer à cet égard, il n’a qu’à relire encore les Orientales, et surtout les Contes d’Espagne : dès le premier coup d’œil il retrouvera là, à une autre date, cette originalité qui effraie tant sa candeur. L’auteur des Cariatides entre dans la poésie botté, éperonné, la cravache en main, se permettant toutes les boutades, traitant le goût comme un laquais et la délicatesse comme une vivandière. Ainsi qu’il le dit, sa muse est une fille qui fume du tabac de caporal ; sa maîtresse étale des blasons de marquise, et les femmes qu’il chante ont des cheveux bleus et des braises dans les yeux. Rien ne manque enfin à l’idéal du poète échevelé, tel qu’on l’entendait vers 1832.

Il ne serait pas prudent de chicaner M. de Banville sur les détails, car il y a chez lui le parti pris de toutes les singularités, de tous les excès. Tantôt l’auteur des Cariatides traîne un gros sabre de matamore, tantôt il joue de la rapière contre la langue, avec le dégagé d’un gentilhomme ; tantôt enfin il taquine à plaisir les règles avec la mutinerie d’un page de cour. Poèmes, odes, fantaisies, M. de Banville manie tout cela, dans d’inépuisables évolutions, avec une verve merveilleuse qui souvent n’est pas sans grace. Seulement sa main, à la fois débile et forte, laisse incessamment retomber l’armure qu’il soulève. C’est un de ces vieillards de vingt ans comme Byron en a tant produit. Il est impossible de gaspiller à tout hasard plus de talent réel : M. de Banville attrape même çà et là quelques-uns de ces vers frappés et lumineux dont les vrais poètes ont le secret ; mais c’est pour redescendre au plus vite à toutes les trivialités de la recherche, à ce qu’il y a de plus vulgaire dans le caprice. Un pareil début indique une singulière précocité de facture. Qui cependant oserait en tirer une induction décisive ? Il peut sortir également de là un poète distingué ou un écrivain détestable. Comme il y a toujours de la ressource avec les gens d’esprit, on doit espérer que M. de Banville, après cette phase d’engoûment et la première écume une

  1. Un vol. in-18, chez Pilout, rue de la Monnaie, 24.