Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/132

Cette page a été validée par deux contributeurs.
126
REVUE DES DEUX MONDES.

Le salon nuptial rit de mille couleurs ;

c’est le parc vu du boudoir. M. de La Boulaye est trop, dans ses vers, ce qu’on est dans le monde, froid, poli, aimable, élégant ; l’homme ne se trahit nulle part, les choses du cœur demeurent voilées comme un mystère réservé pour la solitude et qu’en public il ne faut toucher que discrètement et à la dérobée. Assurément, quand tant d’écrivains dénoncent sans pudeur à ceux qui lisent les nudités de leur ame, quand une personnalité, quelquefois révoltante, ne craint pas de s’étaler dans la plupart des pages contemporaines, c’est une marque de bon goût d’enfouir en soi-même le trésor des intimes souvenirs, de ne pas crier dans les carrefours ce qui doit être un secret entre la muse et la conscience ; cependant, poussée à l’excès, cette réserve a dans l’art, et particulièrement dans la poésie, un grave inconvénient. Quand on se refuse les inépuisables sources de l’émotion individuelle, il faut retomber forcément dans les sujets de convention ou dans le caprice. En quittant l’auteur de l’Itinéraire poétique, on se souvient certainement d’une personne distinguée, mais on ne l’a qu’entrevue dans une visite.

La plupart des vers de M. de La Boulaye ont été écrits en de lointains voyages ; à lire cependant ces pièces, datées l’une de l’Etna, l’autre de Grenade, celle-ci de Thèbes, celle-là du Niagara, on ne sent point assez qu’on change de climat, on se croit toujours dans les zones tempérées ; ici encore le soleil est absent. Ce qui plaira surtout dans l’Itinéraire poétique, c’est le goût sincère que l’auteur y laisse partout éclater pour l’art des vers, c’est son amour attentif de la forme ; c’est son respect pour le travail patient.

Et le mot tant cherché qui paraît tout venu.

La satire va mal à M. de La Boulaye. Quand, par exemple, à propos des excès du théâtre moderne, il parle des pourceaux du parterre, on voit que son habituelle élégance est dépaysée. Ce qui lui réussit bien mieux, c’est l’épître morale, finement didactique et raisonneuse. Il y en a une à M. Émile Deschamps sur le style, qui est le meilleur morceau du recueil. On regrette seulement que le poète, en s’habituant ailleurs à développer ses métaphores, en noyant trop souvent l’idée dans l’image, n’ait pas toujours mis à profit la leçon piquante qu’il donne, avec entente et bon goût, à l’auteur des Poésies Étrangères. En résumé, on peut dire que l’Itinéraire poétique est un joli volume de vers, mais ce n’est pas autre chose.