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POETÆ MINORES.

la fée de la jeunesse. C’est le suprême adieu du voyageur au seuil où il ne doit plus revenir. Des vers, ainsi donnés comme un humble et discret tribut, ne veulent pas être jugés avec rigueur. L’homme d’ailleurs s’efface avec modestie dans tout le volume, et c’est à peine si, à un seul endroit, la nature du poète éclate et se trahit par ce vers ou il est dit que, s’il a chanté,

C’était pour obéir aux volontés des cieux.

Les sujets les plus simples suffisent d’ordinaire à M. de Chambure : une brise du soir, un lever de soleil, les halliers d’aubépine, les genêts en fleurs, le prolongement lointain des peupliers, les mille bruits de la vie dans les choses, ici le bourdonnement d’une ruche, là le gazouillement des nids au sein des arbres, plus loin un char de moissonneurs qui roule dans le sable ou le mugissement d’un bœuf qui s’achemine pensif, tels sont les thèmes ordinaires de l’auteur de Transeundo. C’est un amant de la nature, non pas sombre et atteint au cœur, comme Lucrèce ou Obermann, mais mélancolique, résigné, aimant à lire sur le bord d’un bois une page élégiaque de Schiller ou de Wordsworth. La petite rivière qui, au fond du paysage, déroule son ruban d’azur, est une parfaite image de cette poésie murmurante et fraîche. Le tableau des Moissonneurs, de Léopold Robert, revient souvent : il n’y manque que le soleil. À Rome, la muse pudique de M. de Chambure n’aurait chanté que Diane la chaste ou la vestale sans tache. Écarter ainsi toute passion de la poésie, n’est-ce pas se refuser l’émotion des sentimens ? n’est-ce pas se borner forcément à un public de jeunes filles ? En somme, Transeundo est une gracieuse aquarelle, quelque peu pâle de ton, mais qui plaît comme une vue de chalet ou de village : cela repose un moment.

Quoique M. Victor de La Boulaye paie aussi en passant son tribut aux airs divins que se donnent sans exception tous nos poètes, quoiqu’il dise :

Chantons pour accomplir ce que le ciel ordonne,

on sent vite que ce n’est là qu’un travers passager chez l’auteur de l’Itinéraire poétique[1]. Ce volume, en effet, se rattache évidemment par son origine à une vie distraite et inoccupée ; quelquefois même le parfum aristocratique se trahit plus qu’il ne faudrait. Ainsi l’auteur dit quelque part, à propos des éternels hymens de la nature :

  1. Un vol. in-18, chez Charles Gosselin, rue Jacob, 30.