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peine s’il faut un peu de talent pour être démesurément loué. Les inquiétudes de M. Cournier sont tout-à-fait imaginaires : si un vrai poète se produisait aujourd’hui, l’indifférence du public se transformerait tout à coup en enthousiasme, nous n’en doutons pas ; mais c’est précisément parce que la foule aime les bons vers, qu’elle lit si peu ceux qu’on publie. Ces airs de rapsode persécuté vont mal à M. Cournier, et nous l’aimons bien mieux quand, dans une pièce adressée à son volume, il s’écrie avec pressentiment :

Mon fils, ta mort est légitime !

Cet héroïsme d’un poète m’étonne un peu plus que celui de Brutus. Il reste heureusement à M. Cournier une veine qu’il fera bien de poursuivre, c’est la veine comique ; chez lui, le trait de la satire s’aiguise encore par un vers leste, facile et agréablement tourné. En s’exerçant au dialogue, au jeu de la répartie, en mêlant avec plus de soin encore les délicatesses du sentiment aux saillies malignes de l’observation, peut-être l’auteur du Nyctalope réussirait-il sur la scène ? Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il semble fait pour échouer dans le lyrisme.

On se lasse vite de ce qui est à la fois triste et risible. Le groupe des incompris pourrait nous retenir long-temps encore si nous visions à être complet. Mais ne serait-il pas aussi inutile que fastidieux de chercher, en insistant, d’autres exemples ? Ce qu’on a vu nous en dispense : l’uniformité des prétentions ne serait même pas égayée par la variété des ridicules. Toujours la même jérémiade se reproduit débitée sur le même ton : il y a de quoi lasser la plus robuste patience. — Pour faire trêve à ces lamentations monotones de la poésie solitaire, écoutons un instant la poésie mondaine. M. de Chambure et M. de La Boulaye sont des poètes de salon.

Le Transeundo[1], de M. de Chambure, est un recueil de vers quelque peu languissans, mais simples et isolément agréables. Aux yeux de M. de Chambure, la poésie est l’occupation la plus délicate de l’esprit, comme l’amour est l’occupation la plus délicate du cœur ; cependant la publication de Transeundo ne lui inspire aucune illusion vaniteuse. L’auteur déclare lui-même qu’aux hommes complètement doués appartient le privilége exclusif de faire accepter leurs vers par la foule ; pour lui, l’offrande qu’il présente aujourd’hui à la muse est en même temps, est surtout un dernier hommage à

  1. Un vol. in-18, chez Ledoyen, Palais-Royal.