Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/123

Cette page a été validée par deux contributeurs.
117
POETÆ MINORES.

exercice puéril, une gymnastique de langage. Nous craignons que M. Barbier n’en soit arrivé là. Cette idée vague du bien et du beau, cet idéal indéfini, ces expressions résonnantes d’égalité, de liberté, d’humanité, qui maintenant reparaissent à chaque ligne dans ses vers, donnent à tout ce qui sort de sa plume un ton de prédication parfaitement monotone et assoupissant. La poésie, selon l’auteur des Rimes héroïques,

Est une savante harmonie,
Mise en la bouche du génie,
Afin de donner plus d’éclats
Aux bonnes choses d’ici-bas.

Rien de mieux ; mais c’est précisément cet éclat dont l’absence est de plus en plus frappante dans les dernières productions de celui qui avait rencontré les Iambes. Aujourd’hui M. Barbier écrit pour satisfaire bien moins un besoin de son ame qu’une habitude de son esprit. Les thèmes qu’il prend, les sujets qu’il traite, ne correspondent ni au sentiment ni à l’imagination : ce sont des programmes de morale, pour lesquels il cherche le prétexte d’un évènement ou d’un nom propre. Après la lecture de chaque pièce, on est tenté d’écrire en marge le vers d’Alfred de Musset :

Admirable matière à mettre en vers latins.

Les Rimes héroïques sont un recueil de sonnets. Il y a long-temps que cette vieille forme du sonnet, illustrée par Pétrarque et par Shakspeare, a été remise en honneur dans la littérature nouvelle : depuis les originales tentatives de Joseph Delorme, plus d’un poète s’y est essayé avec bonheur. Une pensée délicate, un trait spirituel, quelque fine nuance du sentiment, s’enchâssent à merveille dans ce cadre inflexible, et, sous la maille pressée du rhythme, ils acquièrent je ne sais quel relief plus saisissant. Mais choisir au hasard, dans l’histoire, des noms obscurs et des noms éclatans pour en faire, de parti pris, une sorte de galerie de sonnets, c’est tout simplement rimer des étiquettes pour des portraits. Toujours deux quatrains et deux tercets, soit qu’il s’agisse d’un homme inconnu ou d’une renommée glorieuse, d’un fait ignoré ou d’une révolution qui a changé le monde ; quatorze vers pour le Christ, quatorze vers pour Colomb, quatorze vers pour Jeanne d’Arc : l’inspiration de M. Barbier a toujours la même mesure ; il est vrai qu’elle est partout la même. On sait l’aventure de Benserade, qui voulait mettre l’histoire de France.