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de réussites soudaines, ces accès subits et fébriles de la célébrité sont dangereux. Quand c’est à l’ébranlement d’alentour, quand c’est à la secousse même des évènemens qu’un esprit doit ainsi son inspiration, il lui faut une trempe vraiment forte pour résister à l’épreuve. Un moment vient en effet, et il est prompt, où le flot populaire qui vous avait soulevé sur sa cime retombe et s’affaisse ; un moment vient où l’appui manque et où il ne faut plus compter que sur soi-même. Cette poésie, que j’appellerai extérieure, avait cependant pénétré assez profondément M. Barbier pour ne pas se retirer tout aussitôt. Le rayon, au contraire, que l’astre de juillet avait laissé tomber en son ame, sembla, dans le Pianto, recevoir du soleil d’Italie une lumière nouvelle, un éclat plus vif. Quoique l’idée soit souvent absente ou disparaisse sous le rhythme, quoique la brutalité triviale de l’expression vienne çà et là rappeler mal à propos le souvenir des Iambes, quelques parties de ce poème resteront comme une œuvre qu’une certaine sérénité calme, qu’un amour grave de l’art, que je ne sais quel reflet enfin du ciel de Naples recommanderont à l’avenir. Poète du carrefour dans les Iambes, M. Barbier devint dans le Pianto un poète de l’atelier, le poète aimé des artistes. Notre sympathie, malgré ses réserves, accompagne jusque-là le chantre de Melpomène et du Campo Santo ; mais il nous est impossible de suivre plus loin M. Auguste Barbier. La décadence évidente qui commençait dans Lazare s’est continuée, en s’augmentant, dans les Nouvelles Satires et dans les Chants civils ; aujourd’hui elle atteint le dernier terme par les Rimes héroïques. Le fait est avéré, et la complète indifférence du public ne doit laisser aucun doute à cet égard. L’homme qui écrivait naguère un iambe sanglant contre la popularité a beau flatter aujourd’hui les populaires instincts, il a beau emprunter son vocabulaire au socialisme : la foule a décidément détourné ses regards, elle ne lui rendra pas son attention. Le poète des Iambes, le poète du Pianto, le chantre qu’avait inspiré la mélancolie après la colère, appartient désormais au passé. Aujourd’hui, M. Barbier est séparé de lui-même par un abîme.

La source de l’inspiration semble complètement tarie chez l’auteur des Rimes héroïques. Au lieu du penseur, on n’a plus qu’un moraliste d’école ; au lieu du coloriste habile, qu’un rhéteur qui versifie. Quand la poésie, au lieu d’être la traduction spontanée d’une émotion de l’ame, se rabat aux cadres convenus, à deux ou trois idées générales ou plutôt à deux ou trois mots creux qu’elle emploie résolument à propos de tout, alors elle abdique, elle n’est plus qu’un