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POETÆ MINORES.

derai que, dans quelques œuvres exceptionnelles, une certaine confusion extérieure n’est qu’un raffinement voulu. Sous l’apparence du rêve et du hasard se déguisent quelquefois des calculs profonds : c’est un art que ce désordre savant de l’atelier. Il faudrait être bien naïf pour ne voir dans les Nuées ou dans le Faust que de capricieuses boutades. Hoffmann, en ses plus étranges compositions, se sert au moins de la raison comme point de départ, et ses extrêmes fantaisies ne sont même que du bon sens retourné. L’ordre est au fond de toute composition durable. Joseph Chénier y pensait sans doute quand il a dit que le génie c’était tout simplement la raison sublime. Or on peut accorder à l’œuvre de M. Guiraud le sublime, si M. Guiraud y tient ; mais il est bien difficile qu’on lui accorde la raison. Je mets au défi l’analyse la plus scrupuleusement consciencieuse de reproduire, dans son désordre, dans son bizarre enchevêtrement, le nouvel ouvrage de l’auteur de Flavien.

Pour comprendre le titre mystérieux du livre, il est indispensable de recourir aux notes. On y apprend donc, entre autres choses instructives, que récemment encore se voyait à Perpignan une vaste chapelle, bâtie au XIIIe siècle, et qui faisait autrefois partie du monastère des grands carmes. Il y a quelques années, l’administration du génie militaire, ayant eu besoin de l’emplacement, procéda sans pitié à la démolition. Averti et indigné, M. Guiraud, en son zèle archéologique, s’exécuta héroïquement ; devenu adjudicataire des matériaux, il les fit patiemment transporter à trente lieues de là, dans le parc de son château de Villemartin. Cela fait, M. Guiraud se sentit désireux de pouvoir dire : « Mon cloître, » tout comme il dit à chaque instant dans ses vers : « Mes bois, ma chose, mes jardins. » Soutenu à la fois par ses prédilections de propriétaire et par son mysticisme gothique, le poète se mit donc à reconstruire de ses propres mains l’édifice ruiné ; après trois ans de travaux assidus, la chapelle était debout, et dès-lors M. Guiraud put s’y promener à l’aise, s’y agenouiller, y rêver, y rimer surtout. C’est le dithyrambe du poète en l’honneur de l’architecte qui forme aujourd’hui un gros volume appelé le Cloître de Villemartin.

Le livre s’ouvre par une dédicace à « l’épouse adorée, » pages touchantes et simples, qui font honneur au cœur de l’homme plus encore qu’au talent de l’écrivain. Malheureusement, ce ton gracieux et modéré ne se prolonge pas. Chaque matin, M. Guiraud fait un pèlerinage à sa chapelle, et chaque pèlerinage amène, sans suite, au hasard, deux ou trois rêveries sur l’église et sur la