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REVUE. — CHRONIQUE.

annuelle fixe, le landlord abandonne à un étranger, à un industriel, l’exploitation de sa terre ; peu lui importe ce qu’elle devient et ce que deviennent les malheureux qui la cultivent : pourvu qu’au bout de l’an il touche sa rente, prélevée en Irlande et dépensée en Angleterre ou sur le continent, il ne s’inquiète pas du reste. Le middleman, de son côté, ne cherche qu’à exploiter le plus lucrativement possible la terre qui lui est livrée et à la mettre à la plus haute enchère. N’ayant dans la terre elle-même aucun intérêt permanent, il ne s’occupe qu’à lui faire produire immédiatement tout ce qu’elle peut donner, sans s’inquiéter de l’épuiser ; et n’ayant aussi avec les fermiers que des relations éphémères, n’étant pour eux qu’un étranger, il les pressure sans merci et sans remords, et quand il a terminé son exploitation, quand il a fait rendre à la terre son dernier fruit et à l’homme sa dernière obole, il résilie son bail et rend au landlord des terres appauvries et des tenanciers affamés.

Je ne sache pas que jusqu’à présent le système des middlemen ait été introduit dans le pays de Galles ; mais ce qu’il y a de commun entre ce pays et l’Irlande, c’est l’excessive division de la terre. Dans l’Angleterre proprement dite, dans le Suffolk, le Norfolk, le Lincolnshire, le Yorkshire, et aussi dans les comtés du sud, les fermiers ont généralement mille, deux mille ou trois mille acres de terre à la fois ; il est très rare d’y en voir qui aient moins de deux cents acres. Dans le pays de Galles comme en Irlande, il n’y a que de petits fermiers. Chez ces deux populations pauvres et enracinées dans le sol, l’ambition de posséder une parcelle de terre est un besoin inné, invincible. Tout paysan veut être fermier ; tout fils de fermier veut être ce qu’a été son père : alors on voit une ferme de vingt-cinq acres se diviser en quatre ou cinq parts, et successivement la détresse suivre la progression du morcellement de la terre.

De là vient que la terre est l’objet d’une concurrence sans limites. Par l’effet de cette concurrence, le prix des fermages s’élève de plus en plus. Chaque fois qu’une ferme se trouve inoccupée, il se présente immédiatement une foule de soumissionnaires, prêts à passer par toutes les conditions qu’on voudra leur imposer. Il serait injuste ici d’accuser l’avidité du propriétaire ; le plus souvent ce sont les fermiers qui haussent eux-mêmes le prix des baux en poussant les enchères. Ils les poussent indéfiniment, bien au-delà de ce que leurs ressources leur permettent réellement d’offrir. Comme c’est leur seul moyen d’existence, rien ne leur coûte pour se l’assurer. Ils veulent à tout prix être fermiers, et ne pas être laboureurs ; mais, en réalité, ils ne sont que des laboureurs au service du propriétaire, et quand, à la fin de l’année, malgré tous leurs efforts, ils ne peuvent réussir à payer leur rente, comme ils n’ont que des baux annuels, ils sont forcés d’abandonner ce coin de terre, sur lequel ils se sont inutilement épuisés. Ajoutez à cela la différence des dialectes, qui fait que l’habitant de la principauté, ne comprenant pas l’anglais, ne peut émigrer même d’un comté à un autre pour chercher du travail, et vous aurez une idée des causes qui entretiennent la misère dans cette population presque entièrement isolée.