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REVUE. — CHRONIQUE.

d’orge et boire du petit-lait, sûrement, me dis-je, ce sont des membres de ma famille, ce sont des fils et des filles opprimés de Rebecca. »

Rebecca avait aussi des procès-verbaux des séances de ses conventions nocturnes, et datés de la première année des exploits de Rebecca, anno Domini 1843. Dans ces meetings, on s’engageait à révéler toutes les corruptions à Rebecca, pour qu’elle en fit justice, et à porter tous les sujets de griefs devant le tribunal de la dame (the lady). Souvent, avant de faire une exécution, on en donnait avis, et l’homme condamné par ce tribunal secret recevait un avertissement en ces termes : « Vous êtes prévenu d’avoir à quitter votre logis, parce que Rebecca et ses filles se proposent de détruire toute la maison et ce qui leur tombera sous la main. »

Les expéditions s’accomplissaient ordinairement dans le plus grand secret et avec une rapidité magique. On donnait de fausses alertes et de faux avis à la troupe, et pendant que les dragons accouraient à toute bride au lieu indiqué, l’œuvre de destruction se faisait sans obstacle à quelques milles plus loin. Les gardiens d’une barrière entendaient tout à coup donner du cor, et à l’instant ils voyaient une centaine d’individus, avec la figure noircie, sauter par-dessus les haies ou sortir de dessous terre, et après avoir nettoyé la place et rendu le chemin libre, disparaître avec autant de rapidité. D’autres fois, les dragons passaient tranquillement sur la route ; tout était silencieux et paisible en apparence ; puis à peine avaient-ils disparu, qu’une fusée volait en l’air, des feux éclataient sur les collines, et Rebecca et ses filles faisaient leur apparition fantastique.

L’origine et les causes de cette croisade populaire, entreprise contre les barrières, ont besoin d’être expliquées, car elles tiennent à un état de choses tout particulier, et qui n’aurait point parmi nous de termes de comparaison. Comme vous le savez, monsieur, il y a en Angleterre fort peu de ce qu’on appelle la centralisation. L’esprit provincial, l’esprit de comté y règne encore dans toute sa force ; l’ancienne division en paroisses s’y est maintenue intacte jusqu’à ce jour. Aussi, tout ce qui est du ressort administratif y a-t-il un caractère essentiellement local ; la police et les travaux publics, par exemple, rentrent presqu’entièrement dans les attributions des magistrats des comtés et des autorités des paroisses. Ainsi, pour ce qui concerne les routes, une fois que les autorités locales ont passé par la formalité d’une autorisation du parlement, et obtenu ce qu’on nomme un private bill, elles disposent arbitrairement de la concession et de l’exploitation. Les routes, comme presque tous les travaux publics, se font par soumission et par entreprise, et l’exploitation en est affermée à des compagnies. Les soumissionnaires couvrent leurs frais de construction et d’entretien à l’aide d’un impôt prélevé à des barrières établies à différentes distances sur les routes (turn-pikes). On conçoit que ces impôts, aisément supportés dans les parties les plus riches du pays et dans le voisinage des grandes villes, soient très onéreux pour une population pauvre principalement composée de petits fermiers. La culture de la terre, dans les comtés du pays de Galles se fait principalement à l’aide de la chaux,