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REVUE. — CHRONIQUE.

Anglais. À l’entendre, la cause de la séparation est gagnée ; le parlement irlandais, on peut le considérer comme rétabli, il ne s’agit plus que de préparer la salle des séances. Les Irlandais accourent à la voix du libérateur, ils écoutent avidement, ils applaudissent avec enthousiasme, ils ne refusent pas d’augmenter le fonds commun par leurs souscriptions. Tous ces faits sont sans doute fort graves, fort dignes d’attention, et il y aurait légèreté à croire qu’ils sont absolument sans danger pour le pays qu’ils agitent ; mais quel sera enfin le terme de cette agitation ? l’issue de ce débat ? Encore, à proprement parler, il n’y a pas là de débat. À peine si le gouvernement a dit quelques paroles calmes, froides, d’une bienveillance sincère, mais quelque peu hautaine. On peut dire que jusqu’ici, au lieu d’un débat, il n’y a qu’un interminable monologue, dont O’Connell fait tous les frais. Le talent de l’orateur est grand, sa verve est inépuisable, son imagination est riche, et sait mettre ses trésors au service d’une rare habileté ; toujours est-il néanmoins qu’une nation, quelque excitée qu’elle soit, ne peut pas vivre de meetings. C’est trop si c’est sérieux, ce n’est pas assez si ce n’est qu’un amusement. Dans le premier cas, au bout des meetings, il y a la révolte ; dans le second, la lassitude et le ridicule. O’Connell ne veut certes pas déshonorer sa vieillesse en jouant en Irlande, de comté en comté, une longue comédie ; il ne veut pas davantage appeler les Irlandais aux armes pour tenter un déchirement violent de l’empire britannique. Que veut-il donc ? et que peut-il faire, si le gouvernement anglais persiste à demeurer spectateur impassible de cette agitation, auditor tantum de tous ces discours qui ne sont plus désormais et nécessairement que des lieux communs ?

Il est des pays où, dès qu’une idée est la pensée de tout le monde, dès qu’un sentiment est devenu une passion populaire, il n’y a plus de puissance humaine qui puisse prévenir une explosion, à moins qu’une concession, qu’une transaction ne vienne refroidir les masses, en calmant les esprits les moins ardens, les imaginations les moins vives. Il ne reste alors qu’un petit nombre de têtes exaltées qui persistent dans une agitation stérile et sans but, car la multitude satisfaite, loin de les suivre, ne tarde pas à condamner des hommes dont l’exaltation lui paraît une folie d’abord, bientôt un crime. L’idée du repeal est-elle réellement en Irlande la pensée de tout le monde, un sentiment profond, ardent, national ? Les Irlandais ont-ils pris cette pensée aussi au sérieux qu’on le dit ? Nous sommes quelquefois tentés d’en douter. Il est certain que l’Irlande est mécontente de sa situation, de sa situation sociale, industrielle, politique ; il n’est pas moins certain que sur plus d’un point ce mécontentement est parfaitement justifié. Mais quand ils applaudissent au projet du repeal, quand ils y applaudissent avec cette vivacité qui est un des traits distinctifs de leur caractère national, obéissent-ils à un sentiment propre, à un sentiment général, irrésistible, à un sentiment de tous les jours, de tous les instans, qui forme l’entretien de toutes les familles, l’enseignement que les parens transmettent à leurs enfans ? Ou bien ne font-ils autre chose que d’applaudir avec une joie frénétique à une pensée