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LA PEINTURE SOUS LOUIS XV.

Ces analogies fines et délicates qui appellent sur la toile les objets et qui les lient par des fils imperceptibles, sur mon Dieu ! il ne sait ce que c’est. Toutes ces compositions font aux yeux un tapage insupportable, c’est le plus mortel ennemi du silence que je connaisse. Quand il fait des enfans, il les groupe bien ; mais qu’ils restent à folâtrer sur les nuages ; dans toute cette innombrable famille, vous n’en trouverez pas un à employer aux actions réelles de la vie, s’étudier sa leçon, à lire, à écrire, à tisser du chanvre. Ce sont des natures romanesques, idéales, de petits bâtards de Bacchus et de Silène. Ces enfans-là, la sculpture s’en accommoderait assez sur le tour d’un vase antique. Ils sont gras, joufflus, potelés. Si l’artiste sait pétrir le marbre, on le verra. Ce n’est pas un sot pourtant ; c’est un faux bon peintre, comme on est un faux bel-esprit. Il n’a pas la pensée de l’art, il n’en a que le concetti. » Après ce préambule Diderot daigne pourtant déclarer, à propos de quatre pastorales, que « Boucher a des momens de raison, qu’il a créé là un poème charmant. » Plus tard il revient un peu de sa sévérité. « J’ai dit trop de mal de Boucher, je me rétracte ; j’ai vu de lui des enfans bien naïvement enfans. Boucher est gracieux et n’est pas sévère, mais il est difficile d’allier la grace à la sévérité. »

À la suite de ce jugement, ne peut-on pas reproduire celui de Grimm : « On l’appelait le peintre des Graces, mais ses Graces étaient maniérées ; c’était un maître bien dangereux pour les jeunes gens. Le piquant et la volupté de ses tableaux les séduisaient, et, en voulant l’imiter, ils devenaient détestables et faux. Plus d’un élève de l’Académie s’est perdu pour s’être livré à cette séduction. On pouvait appeler Boucher le Fontenelle de la peinture : il avait son luxe, sa recherche, son précieux, ses graces factices ; mais il avait plus de chaleur que Fontenelle, qui, étant plus froid, était aussi plus sage et plus réfléchi que Boucher. On pourrait faire un parallèle assez intéressant entre ces deux hommes célèbres : l’un et l’autre, dangereux modèles, ont égaré ceux qui ont voulu les imiter. L’un aurait perdu le goût en France, s’il ne s’était pas montré immédiatement après lui un homme qui, joignant le plus grand agrément à la simplicité et à la force du style, nous a dégoûtés pour jamais du faux bel-esprit ; l’autre a peut-être perdu l’école française sans ressource, parce qu’il ne s’est pas trouvé à l’Académie de peinture un Voltaire pour préserver les élèves, de la contagion. »

Boucher, qui a eu plus de cent élèves, n’a pas laissé d’école. Fragonard seul, parmi ses élèves, a rappelé souvent la façon du maître ;