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lauréat, un accessit, un concurrent déconvenu, voilà les rivaux qu’il faudrait apprécier. Mais, comme ce n’est pas notre rôle d’arracher ou de distribuer des couronnes, nous n’en dirons qu’un mot en passant. Il n’y a que le secrétaire perpétuel, d’ailleurs, pour se jouer à plaisir de ces difficultés académiques : ne pas séparer l’esprit railleur de l’urbanité, glisser l’épigramme sous l’éloge et laisser deviner ce qu’on pense précisément par ce qu’on omet de dire, c’est là un art trop délicat pour qu’on s’y risque après M. Villemain. Rien ne nous impose, d’ailleurs, ces malicieuses réserves, ces délicates précautions. C’est presque faire un compliment à un poète que de dire du mal de sa prose : aussi ne cacherons-nous pas à Mme Tastu que notre préférence est pour ses vers. Quand le rhythme n’est plus là pour la soutenir, elle perd cette ferme élégance, ce langage châtié, qui donnent du charme à quelques-unes de ses poésies. Le discours sur Mme de Sévigné, auquel l’Académie française a eu la chevaleresque prévenance de décerner le prix, ne nous paraît pas rappeler suffisamment les agrémens, si peu cherchés, du modèle qu’il s’agissait de faire connaître. C’est une étude correcte, consciencieuse, mais quelque peu terne, et où le lieu commun tient trop de place. Je voudrais qu’une femme, à propos de cette autre femme illustre, eût rencontré davantage de ces mots qui peignent, de ces remarques vraies qui abondent chez Mme de Sévigné. J’aime, par exemple, Mme Tastu, quand elle fait cette réflexion, si appropriée au sujet : « Comme dans l’agile souplesse d’une danse légère, il y a beaucoup de force dans une grace parfaite. » Par malheur ce ton est rare. M. Sainte-Beuve, tout à l’heure, nous a donné du goût pour les vaincus : aussi préférerais-je à l’éloge couronné le morceau de M. Caboche, lequel a seulement approché du prix, si M. Caboche ne s’était pas cru astreint à entremêler ses ingénieux aperçus d’une pompe oratoire qui en atténue beaucoup la valeur. Il respire toutefois dans ces pages un goût si réel, une connaissance si sérieuse, je dirais presque une passion si vraie de la langue et des écrits du XVIIe siècle, qu’on oublie volontiers ce qu’une critique morose y pourrait signaler d’inexpérience et de taches çà et là. Quelque sympathique compassion qu’inspire naturellement une défaite, il serait cependant difficile de ne pas adhérer au jugement tacite de l’Académie sur la composition (c’est le mot) de M. F. Collet : l’Académie n’en a rien dit, et le plus sage peut-être eût été de faire comme elle. Cet éloge, en effet, de Mme de Sévigné n’est qu’une déclamation mal digérée, où l’érudition se mêle assez maladroitement à l’emphase.

En somme, on le voit, cette forme du panégyrique a assez mal inspiré les concurrens, et rien n’est fait pour durer des pages trop nombreuses que l’Institut a provoquées dans cette occasion. Mme de Sévigné, d’ailleurs, n’en devait pas être quitte pour tout ce bruit soudain, pour toutes les phrases solennelles qui se sont débitées alors autour de son nom. La veine, une fois ouverte, ne s’est plus arrêtée, et, après la rhétorique des apologistes, est venue l’érudition des biographes. Y avait-il lieu à une biographie étendue, renseignée, savante même de l’auteur des Lettres ? Oui peut-être, mais à l’expresse condition qu’en si gracieuse matière, l’exactitude n’interdirait pas l’agrément.