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Jusque-là tout va bien ; le rôle est pareil, et ce n’est pas même le talent qui fera défaut aux écrivains de la pléiade. Par malheur, la différence se manifeste sur un point capital, et c’est ce qui a conduit les uns au triomphe, les autres à l’abîme. Tout en s’imprégnant de l’antiquité, tout en trempant leurs armes dans ce flot préservateur, Dante et Pétrarque furent avant tout les hommes de leur temps ; loin de repousser les légendes nationales, ils les cherchèrent avec empressement ; loin de rompre avec leurs prédécesseurs, ils se firent honneur de les continuer : la Divine Comédie est, à la fin du moyen âge, un résumé du moyen-âge ; les poésies amoureuses où Laure est chantée ne sont que le dernier écho du culte de la chevalerie pour les femmes, du penchant des troubadours pour les galanteries, du goût si général alors des subtilités amoureuses. En un mot, Dante et Pétrarque correspondent parfaitement à leur époque et s’en inspirent. La pléiade au contraire repousse les antécédens, et, séduite par la gloire rajeunie des poètes de l’antiquité, tâche de renouer avec eux sans intermédiaire. Faire table rase peut être un bon début en philosophie ; en littérature, c’est un procédé maladroit. En se privant de la veine si originale de l’ancienne poésie française, en voulant faire souche absolument nouvelle, l’école de Ronsard consomma beaucoup de talent, de génie même, dans une œuvre impossible. Avec un tour d’imagination très heureux dans le rhythme, avec une merveilleuse souplesse de facture et de versification, elle périt par un contact qui donne forcément la mort à toute poésie, le contact de l’érudition. De là une poésie factice et conventionnelle, une poésie d’art où l’inspiration directe disparaît, où, sous l’habileté du metteur en œuvre, on cherche vainement l’émotion de l’homme. Et que dire, en effet, de ces écrivains à peine sortis des siècles mystiques, et qui cependant sont beaucoup plus païens que chrétiens ? C’est de Bion, de Moschus, d’Anacréon qu’ils s’inspirent incessamment ; des profondeurs du moyen-âge, au contraire, de ce moyen-âge auquel ils tiennent encore plus qu’à demi, aucun accent ne leur arrive. À ces symptômes, on reconnaît trop la pléiade, hélas ! une vraie pléiade savante du temps des Ptolémées. Ronsard, dans son choix, avait eu la main malheureuse : à quoi servaient, en effet, ces allures d’indépendance, si elles ne devaient cacher que l’imitation ? Et à quoi bon encore, sous la grace, déguiser le pédantisme ? Sur toutes ces lyres, souvent charmantes, de Du Bellay, de Belleau, de Baïf, sur celles plus tard de Desportes et de Bertaut, trop souvent le même et monotone accent retentit. Diffusion et uniformité, c’est le double à peu près, en poésie, de ce qu’il faut pour se perdre : l’école de Ronsard, on le voit, ne pouvait échapper à sa destinée. Aussi, quelque aigreur tranchante qu’y mette Malherbe, si rogues même et si dégoûtées que paraissent ses décisions, on est bien forcé de convenir, avec M. Sainte-Beuve, que son entreprise, autorisée du bon sens, était juste par le fond. La gloire lui restera donc d’avoir le premier donné une bonne théorie du style. Seulement on peut dire qu’avec un tour d’imagination plus inventif, plus hardi, Malherbe se fût peut-être souvenu davantage de cette riche facture et de ce style coloré qui avaient tenu trop de place, toute la