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de M. Saint-Marc Girardin, le morceau coloré et nourri de M. Philarète Chasles, ressemblaient si peu aux flasques déclamations qu’encourage d’ordinaire l’Académie, que, contre l’habitude, on en garde aujourd’hui encore le souvenir. Un jeune écrivain, presque inconnu alors et dont les initiales avaient seulement apparu çà et là au bas de quelques articles littéraires, songea aussi à entrer en lice ; mais, ses recherches à peine entamées, M. Sainte-Beuve se sentit exclusivement retenu près des poètes de la pléiade par une naturelle prédilection : il poussa donc en tout sens, sur ce point particulier, ses intelligentes et sympathiques investigations. C’est de là qu’est sorti ce livre, qui n’en parut pas plus mauvais pour être resté infidèle au programme académique, pour s’être enfermé en un coin spécial, mais fécond, du sujet. On était au moment le plus animé de la querelle littéraire, et chacune des publications partielles de ces essais dans le Globe venait, pour le public ardent d’alors, confirmer des adhésions ou étayer des scrupules. L’auteur lui-même, tout en demeurant fidèle à son parfait discernement de juge et à ses goûts d’exactitude précise, puisait dans tout ce bruit extérieur, comme dans la propre vivacité de ses espérances, un tour animé qui se communiquait heureusement à ses appréciations, et qui donnait un caractère presque contemporain à cette évocation de la poésie des vieux jours. C’est que sous le prosateur du Tableau se cachait le chantre prochain de Joseph Delorme, c’est que le critique ici servait d’éclaireur au poète. De là, dans tout l’ouvrage, une certaine vie cachée, un je ne sais quoi enfin qui ne se rencontre guère en ces sortes d’écrits didactiques, et qui, même dans le calme d’aujourd’hui, ne messied pas.

Avant le livre de M. Sainte-Beuve, l’intervalle qui sépare la poésie du XVIIe siècle de la poésie du moyen-âge était à peu près demeuré en friche pour les historiens littéraires. Après ces excellentes études, maintenant connues de tous, après ce que l’auteur vient d’y ajouter récemment de vues et de recherches nouvelles, ce serait un lieu commun de reprendre les détails. Bien des résultats positifs et nouveaux ressortaient déjà du premier travail de M. Sainte-Beuve ; bien des points importans encore sont éclaircis et fixés, dans cette nouvelle édition, de manière à clore définitivement le débat.

Un des faits que constate le mieux M. Sainte-Beuve, c’est qu’avec l’école de Ronsard, quelque chose de distinct débute qui cessera à Malherbe, et cela est tout-à-fait à l’avantage du livre, car il se trouve de la sorte qu’une période à part y est traitée dans son ensemble, et que c’est au caractère même du sujet, et non au caprice de la chronologie, que l’ouvrage emprunte son titre et ses divisions. À proprement parler, c’est l’histoire de la pléiade, c’est la tentative de Ronsard et de ses amis qui est au premier plan du tableau que trace l’auteur avec tant de charme. Dans l’examen attentif et approfondi que le Globe consacra au brillant essai de M. Sainte-Beuve, lors de la publication première, M. de Rémusat établissait très ingénieusement que jusque-là la poésie française s’était exclusivement abreuvée à deux sources différentes, les traditions chevaleresques et les traditions bourgeoises, qu’aux