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pas aujourd’hui, sous une forme populaire et avec des additions considérables, qui en doublent l’étendue et en font un ouvrage véritablement nouveau, que ce ne serait pas là pourtant une œuvre vieillie. S’il est en effet un livre dont l’influence continue n’a pas cessé de ramener l’attentive sympathie du public et des érudits sur le passé poétique de notre vieille France, s’il est un livre resté cher à tous ceux qui gardent le culte de la lyre, c’est assurément celui de M. Sainte-Beuve. Le Tableau du seizième siècle avait, lorsqu’il parut, une double signification : c’était un important travail de critique savante et rétrospective, et en même temps, par occasion, un manifeste doctrinal, un acte de polémique littéraire. Aujourd’hui, on peut le dire, l’ouvrage conserve toute sa valeur comme histoire, mais, hélas ! la plupart des questions de poétique récente qu’il soulevait, la plupart des applications contemporaines qui y abondaient, sont devenues aussi de l’histoire. M. Sainte-Beuve, avec cette perspicacité universellement compréhensive qui ne lui fait jamais défaut, ne garde là-dessus aucune illusion : il convient sans peine que, dans la rénovation poétique à laquelle nous avons assisté, c’est l’espérance surtout qui a tenu le dé, et qu’en somme il y a eu beaucoup plus de fleurs que de moisson. Voilà les tristes enseignemens de l’âge : ce n’est pas le cœur, quand il est bien fait, qui abdique de lui-même l’enthousiasme, mais l’expérience vient, qui peu à peu gâte cet enthousiasme, et l’use aux réalités de la vie. Nous en sommes tous là. Dans les lettres, pourtant, la foi est si belle, si nécessaire ! Heureux ceux devant qui l’horizon recule indéfiniment ses espaces et semble se sillonner de feux précurseurs ! Mais de toute manière, c’est plus que de la modestie au spirituel écrivain de parler comme il le fait : le poète des Consolations nous serait une objection sûre, si, tout en adhérant à l’ensemble de ces conclusions moroses, nous tenions à contre-dire le critique par un exemple.

Au surplus, c’est là un peu l’éternelle histoire des révolutions petites ou grandes : si certains résultats généraux et essentiels se trouvent finalement atteints, en revanche il faut compter sur bien des déceptions. Aussi, dans les éditions postérieures des écrits révolutionnaires, y a-t-il toujours à rabattre des premières espérances. C’est la faiblesse et en même temps l’honneur de notre intelligence d’aspirer toujours plus haut qu’elle ne touche, de concevoir en elle un idéal que l’œuvre ensuite ne réalise point : pour parler comme les philosophes grecs, l’homme est plus grand en puissance qu’en acte. En publiant aujourd’hui, sous une forme nouvelle, son essai sur la poésie au XVIe siècle, M. Sainte-Beuve est un peu dans la position où se fût trouvé Sieyès réimprimant sous le consulat sa fameuse brochure du Tiers ; mais M. Sainte-Beuve a pris son parti en homme d’esprit, et plus d’une note dans son livre en témoigne. Heureusement, en dehors de ces rapports fortuits et tout-à-fait secondaires avec le mouvement poétique du temps, son travail garde, comme œuvre de critique fine, exacte, judicieuse, la valeur que les juges compétens se plurent à lui reconnaître tout d’abord. La phase la plus importante et la moins connue de l’histoire de notre ancienne poésie revit là