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UN FRAGMENT INÉDIT DE PASCAL.

Dans l’amour, on n’ose hasarder, parce que l’on craint de tout perdre : il faut pourtant avancer ; mais qui peut dire jusques où ? L’on tremble toujours jusqu’à ce que l’on ait trouvé ce point. La prudence ne fait rien pour s’y maintenir quand on l’a trouvé.

Il n’y a rien de si embarrassant que d’être amant et de voir quelque chose en sa faveur sans l’oser croire. L’on est également combattu de l’espérance et de la crainte. Mais enfin la dernière devient victorieuse de l’autre.

Quand on aime fortement, c’est toujours une nouveauté de voir la personne aimée. Après un moment d’absence on la trouve de manque dans son cœur. Quelle joie de la retrouver ! L’on sent aussitôt une cessation d’inquiétude.

Il faut pourtant que cet amour soit déjà bien avancé ; car quand il est naissant et que l’on n’a fait aucun progrès, l’on sent bien une cessation d’inquiétude ; mais il en survient d’autres.

Quoique les maux se succèdent ainsi les uns aux autres, on ne laisse pas de souhaiter la présence de sa maîtresse par l’espérance de moins souffrir. Cependant, quand on la voit, on croit souffrir plus qu’auparavant. Les maux passés ne frappent plus, les présens touchent ; et sur ce qui touche l’on juge.

Un amant dans cet état n’est-il pas digne de compassion ?


Victor Cousin.