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LA PEINTURE SOUS LOUIS XV.

l’ont pas fait. Pour mon compte, je me contenterais bien de la façon dont Boucher joue les comédies de Molière.

Le second volume s’ouvre par les Graces, les Graces au bain, les Graces partout ; revient Cupidon, toujours Cupidon, cette fois enchaîné par les Graces, avec ces vers du cardinal de Bernis :

Que de volages enchaînés
Avec la ceinture des Graces !

La ceinture des Graces est une guirlande de fleurs. Vient ensuite, on ne pouvait pas mieux la placer, Mme de Pompadour ; mais le peintre l’a prise trop vieille pour en faire une Grace. La scène change. Nous trouvons des gravures allemandes d’après Boucher. Boucher gravé par des Allemands sérieux : quelle traduction grotesque ! Ici le peintre nous montre son écriture ; c’est l’écriture claire et gracieuse de Jean-Jacques Rousseau. Nous passons aux sujets religieux ; mais ne craignez rien, Boucher saura rire encore. Ce sont les dessins du bréviaire de Paris, faits sans doute après des dessins de petites maisons ; c’est une assez jolie satire : ainsi il fait planer la Foi sur les Invalides et l’Espérance sur le Louvre et les Tuileries. L’archevêque et le roi n’ont pas compris. Nous ne sommes pas au bout ; il y a encore une belle foire de campagne, de jolis dessins de romans, des cris de Paris assez franchement jetés, une poétique composition d’une séance de bonne aventure en plein champ, un olympe où tous les dieux sont hardiment créés.

Toutes ces créations ne font pas un grand peintre, mais ne protestent-elles pas avec raison contre certains airs dédaigneux dont on accable Boucher ? Pour bien juger un artiste de second ordre, il faut le voir dans son siècle, en face de son œuvre et de ses contemporains, après l’avoir vu à distance. Il faut l’entendre, pour ainsi dire, et non prononcer comme par défaut. Si Boucher pouvait nous parler, il nous dirait : « J’ai vu ce qui se passait autour de moi, j’ai vu que la religion, la royauté, le génie, toutes les grandes choses, s’altéraient, succombaient, s’effaçaient. Pouvais-je devenir un génie au milieu de tous ces nains ; d’ailleurs en avais-je l’étoffe ? Je me suis mis à la taille de tout le monde. On riait, on faisait l’amour, on se grisait après souper. J’ai ri, j’ai fait l’amour, je me suis grisé, vous pouvez le voir à mes tableaux. Les prêtres se jouaient de la religion, les rois de la royauté, les poètes de la poésie ; ne trouvez pas étonnant que je me sois joué de la peinture. Je n’ai fait de mal à personne, du moins par ma volonté. J’ai gagné deux millions à coups