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tout le monde à faire réflexion sur soi-même et à trouver la vérité dont on parle. C’est en cela que consiste[1] la force des preuves de ce que je dis.

Quand un homme est délicat en quelque endroit de son esprit, il l’est en amour. Car comme il doit être ébranlé par quelque objet qui est hors de lui, s’il y a quelque chose qui répugne à ses idées, il s’en aperçoit et il le fuit. La règle de cette délicatesse dépend d’une raison pure, noble et sublime. Ainsi l’on se peut croire délicat, sans qu’on le soit effectivement, et les autres ont droit de nous condamner ; au lieu que pour la beauté chacun a sa règle souveraine et indépendante de celles des autres. Néanmoins, entre être délicat et ne l’être point du tout, il faut demeurer d’accord que, quand on souhaite d’être délicat, l’on n’est pas loin de l’être absolument. Les femmes aiment à apercevoir une délicatesse dans les hommes, et c’est, ce me semble, l’endroit le plus tendre pour les gagner. L’on est aise de voir que mille autres sont méprisables, et qu’il n’y a que nous d’estimables.

Les qualités d’esprit ne s’acquièrent point par l’habitude, on les perfectionne seulement. De là, il est aisé de voir que la délicatesse est un don de nature et non pas une acquisition de l’art.

À mesure que l’on a plus d’esprit[2], l’on trouve plus de beautés originales, mais il ne faut pas être amoureux ; car quand l’on aime, l’on n’en trouve qu’une.

Ne semble-t-il pas qu’autant de fois qu’une femme sort d’elle-même pour se caractériser dans le cœur des autres, elle fait une place vide pour les autres dans le sien ? Cependant j’en connais qui disent que cela n’est pas vrai. Or, doit-on appeler cela injustice ? Il est naturel de rendre autant qu’on a pris.

L’attachement à une même pensée fatigue et ruine l’esprit de l’homme. C’est pourquoi, pour la solidité et la[3] du plaisir de l’amour, il faut quelquefois ne pas savoir que l’on aime, et ce n’est pas commettre une infidélité, car l’on n’en aime pas d’autres ; c’est reprendre des forces pour mieux aimer. Cela se fait sans que l’on y pense ; l’esprit s’y porte de soi-même ; la nature le veut, elle le commande. Il faut pourtant avouer que c’est une misérable suite de la

  1. C’est en cela aussi que consistaient la logique et la rhétorique de Pascal.
  2. Première partie, art. 10, § 1. « À mesure qu’on a plus d’esprit, on trouve plus d’hommes originaux. »
  3. Sic. Il y a un mot omis dans la copie.