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chien avertit trop tard la dormeuse, le baiser est surpris. Presque tout Boucher se retrouve dans ce seul tableau ; c’est là son esprit amoureux, sa grace factice, son paysage qui soupire et qui sourit.

Au cabinet des estampes, les deux volumes de Boucher ne renferment pas le quart de son œuvre. Il faut encore chercher ailleurs les meilleures gravures faites d’après lui et quelquefois par lui-même ; ainsi il a gravé de main de maître le seul bon portrait de Watteau qui nous reste. En voyant ces deux hommes, Watteau et Boucher, on ne découvre pas du tout le caractère de leur talent ; ils sont sans grace et presque sans esprit : Watteau est dur et lourd, Boucher a un certain air romain. En les voyant et en voyant leur œuvre, Lavater serait fort embarrassé. Pour Boucher, le physionomiste donnerait raison à son système en se rejetant sur le costume ; en effet, Boucher était vêtu comme Dorat, avec la même grace et la même recherche.

S’il vous prend la fantaisie ou la curiosité de consulter l’œuvre de Boucher au cabinet des estampes, vous trouverez d’abord une Rachel qui rappelle un peu sa chère Rosine, à l’autre page un Christ théâtral des plus drôles, à la suite une Descente de Croix qui a bien le sentiment des descentes de la Courtille ; des Saints qui n’iront jamais dans le paradis ; des Élémens et des Saisons représentés par des amours joufflus, avec des vers du même goût ; des Muses qui ne vous inspirent pas ; un Enlèvement d’Europe qui rappelle Mme Boucher ; Vénus à tous les âges ; d’assez curieuses imitations de David Teniers ; un portrait de Boucher au temps où il se faisait peintre flamand : il est dans tout l’attirail champêtre, vêtu d’une pelisse et coiffé d’un bonnet de coton. Après avoir échoué dans la vérité, il revient à la grace. Après ces imitations de David Teniers, vous trouverez les Amours pastorales, qui sont les chefs-d’œuvre de Boucher. Il y a là de l’imagination, de la volupté, de la grace, de la magie et même du paysage. Saluez ensuite Babet la bouquetière, une Erato, celle qui inspirait Boucher et non pas la muse des Grecs ; des vendangeuses, des jardinières, des mendiantes, des moissonneuses, silhouettes piquantes presque dignes de Callot ; saluez ces Chinoises qui semblent se détacher de votre paravent, de votre éventail ou de vos porcelaines orientales. Revenons en France. Par malheur, Boucher resta toujours un peu chinois. Mais patience, voilà de la vraie comédie, la comédie de Molière, toutes les scènes sont là saisies d’une manière piquante et presque naturelle. Les derniers Valères ne sont pas morts, ni les dernières Célimènes. Messieurs les comédiens ordinaires du roi trouveront beaucoup à étudier là, s’ils ne