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REVUE LITTÉRAIRE.

sonnages saisis d’étonnement aux révélations contenues dans son œuvre, il aurait même soutenu une discussion qui nous eût semblé fort désagréable avec des amis ou parens de l’ancien sénateur accusant ses récits d’être mensongers. Cette préface est-elle un artifice de romancier, ou bien se lie-t-elle, pour quelques hommes instruits de secrets que nous n’avons nulle envie de connaître, à un véritable scandale ? Malgré les efforts de l’auteur pour donner à ses ouvertures un air de vérité, les idées que nous nous sommes formées sur la dignité de l’écrivain nous font pencher pour la première hypothèse. Au reste, qu’il soit entièrement tiré de la vie réelle ou qu’il ait pris naissance au pays de l’imagination, le roman de M. de Balzac éveille un intérêt d’une nature exactement semblable à celui qu’excitent toutes les causes renfermées dans les fastes criminels. La critique littéraire doit donc se borner à blâmer l’ensemble de cet ouvrage, dont les détails ne sont point de sa compétence.

Honorine n’a rien de commun avec ce premier roman. C’est un livre éclos tout entier, au contraire, d’une soudaine aspiration vers l’idéal. « Idéal, idéal, fleur bleue dont les racines fibreuses plongent au fond de notre ame… on ne peut t’arracher sans faire saigner le cœur, sans que de ta tige brisée suintent des gouttes rouges… » M. de Balzac a cela de singulier, qu’avec un fonds d’idées naturellement rabelaisiennes, il a toujours éprouvé un faible pour le langage et quelquefois pour les sentimens des filles de Gorgibus. Un jour cette invocation, dont il a fait une épigraphe placée en tête d’Honorine, s’est présentée à son esprit, et il a revêtu de son style le plus maniéré l’étrange histoire que voici : un conseiller d’état, désigné seulement sous le nom du comte Octave et appartenant à la famille de ces grands hommes politiques qui, dans les romans de M. de Balzac, exercent une influence occulte sur les destinées de la France, a pris pour femme une jeune fille, belle, spirituelle et bien née, qu’il met tous ses soins à rendre heureuse. Or, un jour la comtesse Octave disparaît en adressant à son mari la moins consolante des lettres d’adieu, car elle lui apprend qu’elle vient de livrer son corps à un séducteur qui, depuis long-temps, s’était emparé de son ame. En pareil cas, le plus débonnaire des époux ne peut s’empêcher de ressentir quelque dépit contre sa femme. Le comte Octave, qui est un homme tout exceptionnel, se borne à faire un examen de conscience, c’est-à-dire à se demander, en repassant tous les actes de sa vie, comment il a pu mériter la disgrace que le ciel lui envoie. Cet examen lui apprend qu’il est sans reproche. Vous pensez peut-être alors qu’il va se venger par le dédain, ou du moins par l’oubli de celle qui l’a si cruellement outragé. Point du tout ; le comte, il est vrai, n’a jamais eu aucun de ces torts que les lois de la société, ou même les règles du monde, peuvent prévoir et réprouver, il a toujours été galant, empressé, tendre ; mais, après bien des réflexions, il découvre qu’il ne possède pas ce qui pouvait seul faire le bonheur d’une femme passionnée et rêveuse.

Le malheureux manquait d’idéal. Il n’avait pas au fond du cœur la fleur bleue d’où suintent des gouttes rouges. Comment s’étonner après cela de ne pas avoir été aimé ? Pénétré dès lors d’une profonde humilité en songeant à