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sacrés qui brûlent sur le maître-autel de l’église. Il est une classe de lectrices auxquelles le roman de M. Frédéric Soulié plaira infiniment sans doute, et, à vrai dire, c’est cette classe, qu’il n’est pas besoin de désigner, que le romancier semble avoir eue toujours en vue dans son style. Une seule citation peut suffire à justifier de la façon la plus complète ce qu’il paraîtrait peut être y avoir de trop sévère dans notre jugement. Un jeune gentilhomme, le vicomte Victor de Perdignan, un des prétendus de la marquise d’Houdailles, prie son oncle de lui épargner des plaisanteries sur une maladresse qu’il vient de commettre à l’égard de la belle veuve. En définitive, s’écrie-t-il, je suis bien sûr de triompher de mes rivaux. Ceci est une traduction préalable ; citons maintenant dans son langage l’auteur que nous voulons faire connaître. « Ah ! mon oncle, dit Victor, ne m’asticotez pas… Je vous le répète, je les enfoncerai tous dans le dix-septième dessous. » Quelles réflexions ajouter après une semblable phrase ! Si M. Soulié n’y prend point garde, son nom pourra s’entourer peut-être d’une popularité semblable à celle qui environne certains noms qu’on ne doit point écrire dans ce recueil, mais comme eux, il devra pour toujours être effacé de la liste des noms littéraires.

M. de Balzac, quoique son talent soit certainement d’un ordre beaucoup plus élevé que celui de M. Frédéric Soulié, a, parmi le bagage de romans nouveaux avec lequel il se présente en ce moment au public, une œuvre qui s’adresse à peu près aux mêmes instincts que le Château des Pyrénées. Le Château des Pyrénées est un mélodrame des boulevards, la Ténébreuse affaire est un procès de cours d’assises. L’un de ces livres nous fait songer aux chaînes de carton, aux cachots de toile, aux brigands à longue barbe et vêtus de rouge ; l’autre, plus hideux parce qu’il est plus vrai, nous fait respirer l’air échauffé des salles d’audience et prendre le honteux plaisir que les passions auxquelles manquent les luttes du cirque viennent, dans les sociétés modernes, demander à l’asile de la justice. M. de Balzac, qui récemment nous a découvert, dans une préface, le rôle de législateur qu’il jouait à l’insu de son siècle en publiant César Birotteau, l’Illustre Gaudissart, et tant d’autres ouvrages où se trouveront écrites, à ce qu’il nous assure, les lois d’une société à venir ; M. de Balzac a toujours eu avec le code et les tribunaux une querelle personnelle. Sa joie est de nous montrer tout ce qu’ont fait de victimes les institutions sociales qu’il aspire à réformer. La Ténébreuse affaire n’est pas autre chose qu’une de ces funestes erreurs dont aucune mesure législative ne pourra jamais préserver la justice des hommes, mais que rendent heureusement fort rares des précautions intelligentes et nombreuses. Dans une préface très longue et très obscure, l’auteur de la Comédie humaine nous insinue que son livre repose tout entier sur des faits réels. Celui qui remplit le personnage de traître dans ce drame judiciaire en trois volumes, l’ancien intendant Malin, devenu, par la grace de Bonaparte, sénateur et comte de Gondreville, aurait passé, il y a quelques années, au repos de la vie éternelle d’un repos provisoire au fond d’un des fauteuils du Luxembourg. L’auteur de la Ténébreuse affaire aurait reçu des lettres de différens per-