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plus long-temps sur deux productions de cette nature. Aymé Verd et Allan Cameron n’ont d’autre importance que de constater ce funeste mouvement d’industrie qui semble vouloir de plus en plus devenir le caractère honteusement distinctif de la littérature contemporaine. Ces deux ouvrages, qui, au point de vue de l’art, n’exciteraient, s’ils avaient été offerts au public avec franchise et bonne foi, que l’indulgent sourire qu’attirent certaines imitations maladroites des grands maîtres sur les lèvres d’un connaisseur ; ces deux ouvrages, présentés sous le nom de sir Walter Scott avec toute l’impudeur de la spéculation moderne, éveillent au fond du cœur une sorte d’indignation. Rien ne sera-t-il maintenant à l’abri de cet esprit insolent et dévastateur qui, pour accomplir ses desseins, se défait de tout généreux respect ? Un malencontreux éditeur n’essayait-il pas, il y a quelques jours, de commettre ce grossier sacrilége, d’achever l’œuvre la plus délicate qui soit jamais sortie des mains de Byron, une œuvre dont des doigts de fée risqueraient d’altérer les contours, en un mot le poème de Don Juan ? Ainsi que l’on fait pénétrer dans les retraites verdoyantes d’un parc, à travers les fiers peupliers et les saules rêveurs, la ligne brutale d’un chemin de fer, on envahit, pour y entreprendre de bruyans travaux, le domaine paisible et sacré où repose la mémoire d’un poète. Horace meurt en disant qu’il a élevé un monument d’airain à la postérité. Des spéculateurs, pour débiter les moellons qu’ils tirent de leurs carrières, couronneront le sommet de l’élégant édifice d’un chapiteau de plâtre. Voilà qui est intolérable. Nous nous sommes élevés bien des fois contre ceux qui abusent de leur propre renommée ; que doit-on penser des gens qui compromettent dans leurs manœuvres commerciales des réputations étrangères ?

Les auteurs d’Allan Cameron et d’Aymé Verd nous ont fait connaître un genre de spéculation nouvelle ; M. Frédéric Soulié nous ramène aux spéculations ordinaires de la littérature industrielle. Le Château des Pyrénées, l’un de ses plus récens ouvrages, est tout simplement un roman fort long (il se compose de cinq volumes), qui semble écrit pour le public des théâtres du boulevard. Ce château des Pyrénées, ainsi qu’on le suppose sans peine, est tout rempli de terreur et de mystère. Il a des cachots où jamais autre lumière que celle des torches et des lanternes sourdes n’a fait glisser de rayon ; il a des tourelles qui frappent au loin l’esprit du voyageur d’une impression plus funèbre que les longs bras du gibet, et enfin il renferme sous le pavé humide de ses cours des souterrains regorgeant de pierreries et d’or comme une caverne des Mille et une Nuits. Jugez de l’action elle-même d’après les lieux où elle se passe. Dès le premier volume, les prisonniers, les juges et les assassins entrent en scène et se gourmandent dans des dialogues mêlés de bruits de chaînes, et interrompus par des coups de poignard. Entre tous ces hommes effrayans, dans ces épaisses ténèbres, apparaissent çà et là quelques blanches héroïnes cherchant contre des violences de toute nature un refuge au pied des crucifix. Puis on voit des enfans abandonnés, des bergers qui ne se doutent pas qu’ils sont fils de princes, des princes cachés sous des