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REVUE LITTÉRAIRE.

Il est à craindre que le roman ne périsse à notre époque pour avoir régné d’une façon trop exclusive. Du temps de Mme de Sévigné, la classe de lecteurs à qui la frivolité est le plus permise, c’est-à-dire le public même des femmes, se reprochait des heures passées à s’attendrir sur de feintes douleurs et de chimériques aventures. Les plus languissantes duchesses, les plus pétillantes marquises, avaient leur opinion sur les pamphlets théologiques et tenaient à honneur de lire tous les livres d’histoire qui n’étaient pas écrits en latin. C’est après s’être éclairées sur la grace suffisante, que de belles dames dont les amours entraînaient cependant encore les escalades et les duels, se permettaient de prêter l’oreille aux plaintes de Mandane et aux soupirs de Cyrus. Aussi le roman ressemblait alors au lutin qui se glisse le soir, entre le rouet et le prie-dieu, dans la chambre des filles. Armé de toutes les séductions des êtres maudits et des choses défendues, craint et adoré, il apportait les accens d’un monde d’ardentes délices, où l’on souhaitait en tremblant d’être ravi. De nos jours, le roman a perdu tout le piquant attrait de ses mystérieuses allures ; il marche la tête haute, et il n’est point d’intérieurs où il ne s’installe à toutes les heures du jour. C’est un amant changé en mari. Ses entretiens, que ni tuteurs, ni duègnes n’interrompent ; ses caresses, dont nul secret remords ne relève la douceur, sont d’une monotonie fatigante. Pourquoi les mœurs en sont-elles venues à ce point, qu’on laisse entrer les matins dans la famille par la porte du journal l’esprit conteur, galant et futile, qui se blottissait jadis en tapinois sous les oreillers ? C’est pour ce pauvre esprit lui-même un irréparable malheur ; il est devenu radoteur et pesant ; il profite de ce qu’on lui permet de parler à son