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donations et les transmettent scrupuleusement à d’autres individus qui ont la confiance de la congrégation ; des contre-lettres mettent les jésuites à l’abri de tous les évènemens. Les biens qu’ils ont amassés de cette manière sont fort considérables, mais parfois ce n’est pas sans protestation de la part des parens, qu’ils accaparent les dons des personnes pieuses. On parle beaucoup depuis quelque temps d’un très riche héritage qu’ils auraient recueilli à Lyon. Il paraît, du reste, qu’ils aiment mieux les rentes sur l’état que les immeubles. Les dames du Sacré-Cœur sont pour eux une autre source de revenus abondans, par les aumônes qu’elles savent se procurer dans le monde. Lors de la fondation de l’ordre, saint Ignace, impatienté par les tracasseries que lui suscitaient certaines dames espagnoles dont il avait eu la direction, obtint du pape une bulle portant que jamais les jésuites ne se chargeraient de la direction d’aucune communauté de femmes. Cette règle a été enfreinte dans ces derniers temps par une dérogation expresse, et les dames du Sacré-Cœur, dont les constitutions furent presque calquées sur celles des jésuites, sont dirigées par ces bons pères, qui ont trouvé en elles un utile auxiliaire, et un puissant moyen d’action sur toutes les classes de la société.

Quant au but que se proposent les jésuites, c’est toujours la même chimère : savoir la domination universelle. Établissant d’abord que la gloire de la compagnie est la gloire de Dieu, et vice versa, ils arrivent à ne plus voir dans le monde qu’eux seuls et à tout sacrifier à leur gloire, à leur pouvoir. Le bien et le mal n’existent plus d’une manière absolue : ce qui est utile à la compagnie est bien ; ce qui lui nuit est mal. C’est de la meilleure foi du monde qu’ils se sont faits ainsi le centre de toutes choses, et qu’ils se considèrent comme les seuls représentans de Dieu sur la terre. En France, ces idées ne peuvent pas encore se produire au grand jour, mais, dans d’autres pays, où leur domination est plus assurée, ils avouent des prétentions qui nous reportent au siècle de Grégoire VII. Ainsi, il n’y a pas long-temps qu’en Belgique l’archevêque de Malines, créature des jésuites, a demandé sérieusement qu’à l’église le trône du roi Léopold fût abaissé, afin que le chef du clergé se trouvât placé plus haut que le chef de l’état.

Mais je dois m’arrêter, monsieur, car je n’ai pas la prétention d’esquisser un tableau de la situation actuelle des jésuites. Nous savons maintenant, à n’en plus douter, qu’ils existent. Soyons tous sur nos