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LETTRES SUR LE CLERGÉ.

rale soit enlacée et étouffée dans des distinctions subtiles et dangereuses. Il faut des lumières surnaturelles, et dont je me trouve absolument privé, pour se purifier à la source du père Moullet ou de l’abbé Rousselot. Dans un Compendium de théologie morale qu’on a adopté dans les séminaires de l’Alsace, l’abbé Moullet énonce les propositions les plus pernicieuses. L’obéissance passive y est prêchée comme un devoir rigoureux. « Le subordonné obéissant dans une « bonne intention à son chef, dit l’auteur de ce livre, agit méritoirement, quoique, par le fait, il agisse contre la loi de Dieu. » De cette manière, un supérieur criminel ou dépravé sera certain de plonger dans le crime ou dans la débauche ses subordonnés, qui lui obéiront en toute sûreté de conscience. La théorie du probabilisme, telle qu’elle est enseignée dans cet ouvrage, est subversive de toute société ; elle tend à établir que lorsqu’un homme, croit à peu près également probable que la loi est bonne ou mauvaise, il peut enfreindre la loi, « car une loi douteuse et incertaine ne saurait donner lieu à aucune obligation. » — D’où il résulte que, si un voleur n’était pas excessivement persuadé de la justice de la loi qui lui défend d’enlever le bien d’autrui (et le cas pourrait arriver), il ne serait nullement tenu à être honnête homme. C’est probablement pour des motifs semblables que M. Moullet déclare que les contre-bandiers sont exempts de péché et ne sont tenus à aucune restitution. La théorie des restrictions mentales est exposée par ce théologien dans toute sa pureté. Aussi, après avoir demandé à quoi est tenu un homme qui a prêté serment d’une manière fictive et pour tromper, l’auteur répond que « il n’est tenu à rien en vertu de la religion. »

On ne finirait pas, monsieur, si l’on voulait citer toutes les énormités qui se lisent dans le livre de l’abbé Moullet. Si nous devions nous enfoncer dans cette voie de turpitudes où l’auteur du Compendium s’était déjà beaucoup trop avancé, et où l’abbé Rousselot s’est égaré tout-à-fait, la recette pour commettre un adultère sans se damner mériterait une mention particulière. M. Rousselot, qui est professeur au séminaire de Grenoble, a tiré de la théologie de Saettler tout ce qui est relatif au sixième commandement, en y ajoutant des questions nouvelles et des notes. On croit rêver en lisant ce livre destiné à des jeunes gens (in gratiam neo-confessariorum et discipulorum), et dans lequel les questions les plus hideuses sur la bestialité, sur le vice qu’on ne nomme pas, sont traitées avec un calme, avec une sérénité de conscience, qui étonneraient dans un