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LE SALON.

décisions ne sont soumises à aucune sorte de règle déterminée, ni même, malheureusement, déterminable. Mais, s’il est difficile de faire intelligiblement comprendre au bon sens public qu’un pareil état de choses est nécessaire, bon et légitime, il le sera avant peu bien davantage de le lui faire tolérer.

Une réforme est devenue nécessaire. Tout le monde la veut, et les membres du jury eux-mêmes, interrogés un à un, conviennent qu’il y a quelque chose à faire. La situation où le cours des choses les a placés leur est aussi lourde qu’aux artistes. Il y a long-temps que bon nombre d’entre eux refusent, par des motifs divers, d’en supporter le poids. Sur les trente-quatre membres composant les quatre sections de l’Académie des Beaux-Arts qui fournissent les jurés, la moitié environ manque à l’appel, soit par absence, soit par maladie, soit par récusation volontaire. Plusieurs des manquans ne sont pas fâchés, dit-on, qu’on prenne leur absence pour une protestation tacite. Ce rôle passif d’opposition est facile ; il est à la portée de tous les courages et de toutes les peurs. Pilate a fait école[1]. Quoi qu’il en soit de la valeur morale de cette politique, elle est assurément très mauvaise dans ses résultats, car elle met entre les mains de quelques-uns des décisions dont la délicatesse et l’importance réclamaient les lumières et la bonne volonté de tous. Cette abstention d’un certain nombre de membres, dont les noms sont particulièrement marquans, frappe même indirectement de suspicion et de discrédit les actes des autres. Elle est en outre en désaccord évident avec les intentions royales. Il convient à ce propos de relever une méprise assez généralement adoptée relativement au jury. On se figure, très à tort, que ce jury est formé par l’Académie des Beaux-Arts, agissant en son nom et comme corps, en d’autres termes, que l’Académie se constitue temporairement en jury, comme la chambre des pairs, par exemple, en certaines occasions, en cour de justice. C’est une erreur. Le jury est, à la vérité, exclusivement composé d’académiciens, mais il n’est pas pour cela l’Académie. Cette réunion toute fortuite n’est autre chose qu’une commission d’hommes spéciaux convoqués nominativement et individuellement chaque année, non par le bureau de l’Académie, mais par le roi. Aucun académicien n’en fait partie de droit, à titre d’académicien, mais seulement en

  1. Cette interprétation n’est heureusement plus admissible pour quelques-uns. On assure que la supplique des artistes a reçu l’adhésion et la signature de plus d’un membre du jury. On cite déjà MM. Ingres et Delaroche.