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pour l’habitude ce que nous sommes pour la nouveauté ; ils ont besoin d’être habitués de longue main à une idée pour s’y attacher. Les frais de ces agitations sont couverts par des souscriptions volontaires, et les progrès que fait la doctrine sont ordinairement appréciés par le progrès des souscriptions. Ainsi, la ligue contre la loi sur les céréales gagne du terrain, car les recettes augmentent, et avec les recettes les moyens de propagation. Sur tous les points de l’Angleterre, elle tient des meetings.

Ceci nous amène à la politique proprement dite. Il est difficile de parler une heure en Angleterre sans s’occuper de politique. Les affaires publiques jouent un rôle considérable dans la vie de tout Anglais. C’est par là qu’ils sont grands, admirables, et véritablement supérieurs à tout le reste de l’Europe. Nous avons beaucoup de chemin à faire pour arriver à cette étroite communauté d’intérêts et de pensée qui fait que les affaires de tous sont bien réellement celles de chacun. Un gouvernement libre n’est qu’une grande association dont tous les membres ont un droit égal et une valeur propre ; c’est ce que les Anglais comprennent parfaitement. Les citoyens savent très bien dans ce pays-là que, si les choses vont mal, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes, et ils agissent comme des gens qui ont sérieusement la responsabilité de leur propre destinée. Il ne vient à l’idée de personne d’attribuer à je ne sais quel pouvoir occulte et imaginaire ce qui est le produit de la volonté nationale, manifestée par ses organes réguliers. L’état n’est pas distinct de ceux qui le composent, et le gouvernement n’est pas autre chose, pour tout le monde, que la majorité. Quand en serons-nous là en France ? Quand rendrons-nous justice à nos institutions ? Quand saurons-nous que ce qui nous arrive désormais de bon ou de mauvais, nous le devons à nous-mêmes, à nous seuls, et que, si nous voulons être bien conduits, c’est à nous de prendre la bonne voie ? Le jour où nous en serons venus là, nous serons le plus puissant peuple du monde, car voyez ce que l’Angleterre a fait avec une population égale à la moitié de la nôtre, avec un génie national moins riche et moins fécond ; mais quoi ? la nation anglaise était libre quand nous ne l’étions pas, et depuis que nous le sommes, nous ne voulons pas croire à notre liberté.

On dit quelquefois, pour expliquer la supériorité des Anglais sur nous dans la politique, qu’ils la doivent à la nature aristocratique de leur gouvernement. Je ne crois pas que ce soit exact. La société en Angleterre est aristocratique, le gouvernement ne l’est pas. Quel