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LE MOIS DE MAI À LONDRES.

les portraits de tous les principaux contemporains de l’illustre artiste, le grand orateur Burke, Horace Walpole, l’ami de Mme Dudeffant, la spirituelle lady Montagne, l’universel docteur Johnson, David Garrick et mistress Siddons, ce couple souverain du théâtre, l’aimable auteur du Vicaire de Wakefield, Olivier Goldsmith, les lords Mulgrave et Burghers, enfin tout le XVIIIe siècle anglais, et dans le nombre miss Burney, depuis Mme d’Arblay, dont les mémoires, récemment publiés, sont pleins de détails intimes sur cette époque. Les Anglais aiment beaucoup en général ces résurrections d’une société tout entière ; on ne saurait en choisir une plus intéressante. Cette période, qui a précédé immédiatement la révolution française, a plus d’importance qu’on ne paraît le croire communément. Elle a préparé tout ce qui a suivi. Les temps de critique et d’examen sont moins brillans que les temps de création, mais ce sont eux qui sèment, les autres recueillent. L’Angleterre littéraire et politique de Pitt, de Fox, de Scott et de Byron, est fille de l’Angleterre raisonneuse de Burke, de Walpole, de Johnson et de Garrick. La société anglaise d’alors eut même beaucoup d’influence sur la direction des idées en France ; c’était le moment où ce qu’on a appelé l’anglomanie commençait à se répandre à la cour de Versailles.

Enfin nous arrivons au meilleur tableau de cette exposition, sans comparaison possible avec aucun autre, le grand tableau de Landseer. Edwin Landseer est évidemment le premier artiste vivant de la Grande-Bretagne. Son tableau de cette année sort un peu de son genre habituel, mais il y touche encore par les points essentiels. C’est un portrait de l’honorable Ashley Ponsonby, comme dit le livret. Cet honorable est un enfant de douze à quatorze ans (on donne en Angleterre l’épithète d’honorable à tous les fils de lords), monté sur un poney et suivi de deux chiens. Le talent de Landseer pour donner de l’expression aux animaux se montre tout entier dans cette scène. Le cheval a un air intelligent et fidèle ; les chiens vivent familièrement avec lui, et tous trois ont l’air de s’entendre parfaitement pour aimer et protéger leur jeune maître. L’enfant a déjà tout l’orgueil de la noblesse sur le front ; il a laissé tomber son bonnet écossais, qu’un des chiens porte dans sa gueule, et sa blonde tête est exposée nue à l’air fortifiant des campagnes. Il est vêtu de velours rouge comme le célèbre enfant de Lawrence ; ses jambes sont couvertes de fortes guêtres qui lui ont servi pour marcher dans la rosée des prairies et dans les broussailles des bois ; derrière sa selle pendent deux lapins morts, fruit de sa chasse matinale. Autour de lui,