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d’avoir l’intérêt du récit du lieutenant Eyre[1]. Quant à Carlyle, c’est toujours le même style, moitié hébreu, moitié allemand, toujours le même esprit de dénigrement contre son temps ; seulement, cette fois le pamphlet est doublé d’une légende. Voilà déjà quelque temps que Bulwer, le fécond Bulwer, n’a rien publié. Depuis les poésies de Milnes et celles de mistress Norton, aucun recueil de vers n’est sorti de la foule. M. Ainsworth continue à mettre au jour la suite de ses romans mélodramatiques, mais ce n’est pas là de la littérature. Tous les contemporains de la grande époque s’en vont peu à peu. Southey vient de mourir. Wordsworth et Moore sont bien vieux. Les revues seules se maintiennent. La publication la plus intéressante qu’on ait faite depuis long-temps à Londres est le recueil des articles que M. Macaulay a publiés dans la Revue d’Édimbourg. M. Macaulay est un homme d’infiniment d’esprit qui a écrit des articles fort bien faits et qu’on relit toujours avec plaisir. Il figure parmi les premiers écrivains comme parmi les premiers hommes politiques de l’Angleterre.

Le moi de mai est, comme je l’ai dit, l’époque choisie pour les expositions annuelles de beaux-arts. Une moitié du vaste bâtiment de la galerie nationale est consacrée à l’exposition de peinture et de sculpture. En même temps s’ouvre dans Pall-Mall une exhibition particulière pour les aquarelles, car les Anglais conservent leur goût, et je dirais presque leur prédilection, pour ce dernier genre. On a beaucoup de préjugés sur le continent contre l’art anglais, et il faut convenir que l’aspect général de l’exposition de cette année lui est en effet très peu favorable. Une décadence marquée chez les anciens peintres, peu de talens nouveaux, peu ou point d’originalité dans les ouvrages, une grande faiblesse de dessin, un coloris froid ou exagéré, une extrême précipitation d’exécution qui décèle l’industrie beaucoup plus que l’art, voilà ce qui frappe au premier abord dès qu’on jette les yeux sur la galerie de peinture. Les mêmes caractères généraux se retrouvent, quoiqu’avec moins d’intensité, dans la galerie de sculpture. Les aquarelles elles-mêmes sont sur la voie du déclin. Cependant, quand on y regarde de plus près, on trouve dans le nombre quelques œuvres estimables et même distinguées qui font revenir un peu sur la sévérité du premier jugement.

Ce qu’il y a de plus remarquable dans la peinture anglaise actuelle, c’est l’abandon à peu près complet de l’ancienne manière

  1. Voyez le récit du lieutenant Eyre dans la Revue du 15 février dernier.