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devenu, dans cent ans d’ici, ce mouvement de restauration qui s’accomplit si heureusement aujourd’hui, au profit de notre théâtre classique, sous les auspices de Mlle Rachel ?

Dans tous les cas, si Shakspeare a vieilli pour les Anglais, il ne pouvait pas en être de même pour moi, qui le voyais pour la première fois. Rien ne remplace, quoi qu’on en dise, l’action théâtrale, et il manque toujours quelque chose à la lecture solitaire pour faire bien comprendre les œuvres dramatiques. Je n’avais jamais si bien senti l’énergie tragique de Macbeth que lorsque j’ai vu ce poème terrible marcher et se dérouler devant moi. La moitié fantastique et surnaturelle qui est indissolublement unie à la moitié humaine du drame a besoin elle-même d’être réalisée sur la scène pour avoir son véritable caractère. Alors seulement les sorcières de Macbeth n’ont plus rien de commun avec toutes les apparitions qu’on a pu voir sur d’autres théâtres ; alors seulement elles sont bien elles-mêmes, c’est-à-dire de vraies sorcières bien repoussantes, des êtres bien bas et bien malfaisans, couverts de vêtemens sales et déchirés, genre de merveilleux qui n’appartient qu’aux sombres climats du Nord, et qui est parfaitement approprié à cette histoire de trahison et de sang. Macbeth, c’est le crime volontaire, et les conseillers hideux qui le guident ne représentent pas, comme dans le théâtre grec, des divinités toutes puissantes qui commandent à la volonté même ; non, ils sont les personnifications des mauvaises pensées dans ce qu’elles ont de plus vil et de plus abject. Macbeth devient roi par l’assassinat, il s’élève au faîte des grandeurs humaines ; mais plus l’éclat de sa couronne est grand, plus les images de son crime doivent être ignobles. Non-seulement la leçon morale en est plus forte, mais l’effet théâtral en est plus grand. C’est ce qui ne se comprend bien qu’au théâtre même.

Certes, s’il est quelque genre de composition qui semble n’avoir pas besoin de la scène, c’est la comédie telle que l’a conçue Shakspeare, comédie toute de caprice, de fantaisie et de spirituelle divagation ; on dirait même que la représentation doit lui être contraire, tant est elle idéale. Eh bien ! même pour Winter’s tale et As you like it, il est impossible de se faire une idée exacte de cette comédie étrange et charmante sans la voir. Chose bizarre et tout-à-fait inattendue, au moins pour moi, on est plus frappé des inconséquences et quelquefois des absurdités dont elle abonde, à la lecture qu’à la représentation. L’imagination de Shakspeare, cette fée divine qui transforme à son gré tout ce qu’il lui plaît, vous saisit avec plus de