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LES SOCIN ET LE SOCINIANISME.

d’abandonner toutes les notions terrestres qui m’aidaient à l’imaginer… J’ai beau me dire, Dieu est ainsi : je le sens, je me le prouve ; je n’en conçois pas mieux comment Dieu peut être ainsi… Je m’humilie et lui dis : Être des êtres ! je suis parce que tu es ; c’est m’élever à ma source que de te méditer sans cesse. Le plus digne usage de ma raison est de s’anéantir devant toi : c’est mon ravissement d’esprit, c’est le charme de ma faiblesse de me sentir accablé de ta grandeur ! »

Les deux Socin ont soumis la religion tout entière au contrôle absolu de la pensée humaine ; trop peu avancés encore dans les voies philosophiques, ils n’entrevoyaient pas les écueils où devaient l’entraîner en dernier résultat ses investigations ardentes et précipitées. À l’homme qui plus tard lui a imposé le principe de certitude suivant lequel elle a réalisé toutes les notions qu’elle peut acquérir et juger, il appartenait de la ramener à son véritable point de départ et à son but véritable. On se souvient en quels termes Descartes protestait de son respect pour le dogme révélé : il suffirait de rappeler, si l’on mettait en question la sincérité de Descartes, qu’au xviie siècle ses deux plus illustres disciples se nommaient Malebranche et Bossuet. Cette harmonie parfaite que Bossuet et Malebranche ont rêvée entre la foi et la raison, et qui pour nous subsiste déjà dans l’ordre politique, par la séparation des deux puissances, nous ne savons s’il est réservé à notre âge de la voir réaliser dans l’ordre purement métaphysique : ce qu’il y a de sûr du moins, c’est que sa part du labeur intellectuel imposé aux époques où la civilisation grandit consiste à tout entreprendre pour l’y établir. Nos pères ont fait leur tâche, accomplissons la nôtre ; grace à eux, nous ne sommes plus superstitieux ni fanatiques : mais qui ne se sent de temps à autre inquiet et troublé ? Serait-ce un progrès bien digne de nous, après tant de polémiques et de controverses, que d’avoir abouti au scepticisme ?


X. Durrieu.