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LES SOCIN ET LE SOCINIANISME.

où nous sommes, leurs prédicateurs ont pénétré dans chacun des continens, dans chacune des îles où se fait sentir l’influence anglaise. Dans la Grande-Bretagne et dans les plus anciens états de l’Union américaine, le méthodisme a ses docteurs, ses savans, ses polémistes, nous serions tenté d’ajouter sa littérature. Ce sont ses adeptes qui, dans les contrées les plus reculées des deux Indes, fondent, à l’ombre du pavillon ou des comptoirs britanniques, ces journaux dont les titres nous arrivent, de temps à autre, par la voie des correspondances lointaines, depuis que l’infatigable et remuante civilisation de l’Europe a pris à tâche de forcer dans ses retranchemens, jusqu’ici réputés inaccessibles, la barbarie mystérieuse de l’extrême Orient.

Le méthodisme ne s’est établi chez nous que sous la restauration : la philosophie du xviiie siècle, les convulsions politiques de 89 et de 93, les guerres de l’empire et par-dessus tout les transports de haine que soulevait en France le nom de l’Angleterre, il n’en fallait pas davantage pour lui interdire l’entrée de ce pays. En 1825, des wesleyens de Jersey et de Guernesey parcoururent, à diverses reprises, nos départemens qu’ils encombrèrent de leurs livres et de leurs brochures. Leurs prédications n’obtinrent d’abord qu’un succès fort médiocre ; repoussés par les protestans aussi énergiquement pour le moins que par les catholiques, c’est à peine si dans tout le royaume, à Condé, à Meaux, à Cherbourg, à Charenton, à Toulouse (nous citons les villes où on leur fit le meilleur accueil), ils recrutèrent une centaine d’adhérens. Depuis cette époque, il est incontestable que le méthodisme a eu raison de bien vives antipathies et de répugnances bien opiniâtres. De l’un à l’autre bout de la France, il rallie à cette heure un grand nombre de consciences calvinistes et luthériennes, au sein même des consistoires, à mesure que nos sociétés réformées se réveillent de leur indifférence et de leur torpeur. La secte méthodiste a également essayé d’entamer le catholicisme ; mais, à l’exception d’un prêtre de l’ancien comté de Foix, qui, du haut de sa chaire et à la face de son autel, invitait, il y a trois ans au plus, tous les paysans de sa paroisse à renier leurs croyances, nous ne pensons pas qu’on puisse citer dans les rangs des catholiques de sérieuses défections. Il y a ceci de remarquable, que cette paroisse dissidente n’est autre que la paroisse où est né Pierre Bayle et où s’écoulèrent les meilleurs jours de sa jeunesse tourmentée, la paroisse dont sa famille a eu pendant deux siècles l’administration spirituelle, et que lui-même eût, selon toute apparence, paisiblement gouvernée, si les persécutions de M. de Bâville ne l’avaient contraint d’aller gagner en Hollande le pain qui lui manquait en France, et dont l’amertume fut du moins, sur la fin, adoucie par une immense et rayonnante célébrité.

Le méthodisme et le socinianisme, ayant en France l’un et l’autre un foyer considérable, le premier à Montauban, le second à Strasbourg, indépendamment d’une foule de petites écoles disséminées sur les divers points du royaume, une lutte acharnée doit inévitablement s’établir entre ces deux tendances extrêmes qui depuis trois siècles s’entrechoquent dans le protestantisme.