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qui aurait perdu sa jeunesse dans les galanteries et les plaisirs serait-il venu à bout de l’immense labeur accompli par Faustus en Pologne ? On a pris pour de l’oisiveté les habitudes de rêverie où ce grand esprit se mûrissait et se préparait en silence aux luttes de l’avenir. » Quant à son système métaphysique, Jefferson en déduit le déisme, qui, en effet, s’y trouve renfermé ; il se compose, pour lui, d’allégories et d’images derrière lesquelles s’abrite le rationalisme, et il affirme qu’il n’était point autre chose pour Lélio et pour Faustus. Jefferson se méprend étrangement sur la doctrine des premiers sociniens, qui repoussaient avec énergie toute imputation de déisme, car ils sentaient que déduire le déisme de leurs principes, c’était les réfuter d’une façon péremptoire au point de vue chrétien. Il est naturel, du reste, qu’aux États-Unis, dans ce pays de radicalisme, on ait poussé à leurs conséquences extrêmes, en religion comme en politique, les principes des deux Socin. Dans l’ordre politique, les sociniens d’Amérique descendent plus directement de Jacques Paléologue, le vrai socialiste de la secte, dont au xvie siècle les hardiesses alarmèrent tous les gouvernemens.

Les doctrines de Vicence, importées à Londres par le célèbre Ochin, s’y sont également maintenues en dépit de Henri VIII, de la reine Marie, de la reine Élisabeth, du roi Jacques Ier, qui livraient impitoyablement leurs apôtres aux flammes, de Cromwell lui-même, qui les laissait mourir de faim dans les prisons de Newgate et de la Tour. Les sociniens anglais se sont appelés successivement indépendans, familistes, quakers, brownistes, érastiens, tolérans ; ils forment aujourd’hui une société nombreuse qui se nomme la Société des Amis. Durant les deux derniers siècles, ils se sont efforcés de rattacher à leur secte les plus illustres penseurs de la Grande-Bretagne, Whiston, Locke, Clarke, Shaftesbury, Bolingbroke, Hume, Newton lui-même. Ils y sont parvenus pour ce qui concerne les auteurs du Christianisme primitif et de l’Évangile dévoilé, Whiston et Bury, que le célèbre docteur Priestley a continués un peu avant 1789. Peut-être aussi, en dépit de l’Essai sur l’entendement humain, ont-ils le droit de revendiquer Locke, qui, dans son Christianisme raisonnable, reproduit en effet quelques-unes des propositions de Faustus. Il est évident que tous les autres appartiennent exclusivement à la philosophie pure : nous ne voyons pas en quoi leur déisme rationaliste procède du théisme socinien.

Si l’unitarisme doit être, aux États-Unis et en Angleterre, dès à présent, regardé comme un des agens les plus vigoureux et les plus actifs des principes protestans, c’est aussi dans ces deux pays que s’agite son plus vieux et son plus implacable adversaire, le fataliste et intolérant méthodisme, qui, en ce moment, porte si haut et si loin la bannière de Calvin. Depuis le commencement du xviiie siècle, où il a eu pour chefs les deux frères Wesley d’Oxford et George Witefield de Glocester, le méthodisme a pris déjà de considérables développemens. En 1807, l’Europe et l’Amérique renfermaient cinq cent quarante mille méthodistes ; en 1816, on pouvait doubler ce chiffre ; à l’heure