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LES SOCIN ET LE SOCINIANISME.

rance du génie slave se combinait avec la pénétration et l’activité du génie italien, est peut-être celle où se sont reproduites avec le plus d’énergie les philosophies qui, avant le christianisme, se disputaient les consciences, ou qui, durant les premiers temps de notre ère, avaient essayé de prévaloir sur l’enseignement de Jésus. Si l’on recherchait à quel moment s’est donné le signal des discussions métaphysiques et morales qui ont tant contribué à immortaliser le règne de Louis XIV, on verrait que ce signal est presque toujours parti des universités de Pologne, dans lesquelles, bien avant de se relever en Hollande, le dualisme de Manès, le fatalisme de Zénon ou de Montan, ont eu des adversaires et des champions. Au fond, il n’y a jamais eu dans ce monde qu’une seule querelle philosophique ; à toutes les phases de l’humanité, ce sont les mêmes idées qui se heurtent, les mêmes inquiétudes, les mêmes passions qui s’agitent : les luttes intellectuelles ne diffèrent les unes des autres que par l’étendue du champ de bataille ou par la vigueur et le courage des combattans. Nulle part ce champ de bataille ne fut plus vaste ni plus tumultueux qu’en Pologne, si l’on en juge par les thèses qui se débattirent dans le fameux collége de Postnanie. Les sectaires de Pologne avaient pour la plupart dans les diètes des protecteurs, des amis, des disciples : leurs sentimens, pour parler la langue de leur siècle, purent en toute circonstance se manifester pleinement. La liberté de la presse n’a pas, de nos jours, suscité dans les régions de la pure philosophie plus de hardiesses qu’il ne s’en produisit dans les domaines de l’aristocratie polonaise ; cinquante ans après, cette même aristocratie passait de la tolérance extrême à l’extrême sévérité, et proscrivait impitoyablement le socinianisme, dispersant ou exterminant jusqu’à ses plus minces fauteurs. Les sectaires de Pologne ne désertèrent jamais, nous le répétons, les régions de la morale ou de la pure métaphysique. Faustus Socin, le plus entreprenant sans aucun doute, ne s’occupe que par occasion des lois civiles, et dans le but unique de montrer combien elles sont impuissantes quand la sanction religieuse vient à leur manquer. Assurément, le principe socinien est, au fond, le principe protestant le plus radical et, pour tout dire, le plus démocratique qui se soit proclamé au sein de la réforme ; mais ce n’était ni à Vicence ni à Racovie que l’on en pouvait déduire les conséquences politiques. Avant Lélio et Faustus, le principe du radicalisme avait été déjà professé en Europe ; avant eux déjà, plus de vingt sectes au xve et au xvie siècle s’étaient prononcées contre la trinité : mais ce qui distingue essentiellement les sociniens dans l’ordre religieux des anti-trinitaires qui les ont précédés, dans l’ordre social des frères de Moravie, des anabaptistes de Westphalie ou de Suisse, des mennonites de Hollande, c’est d’avoir, par une critique sévère et abondante, élevé jusqu’à l’état de science philosophique leurs idées sur l’unité divine et sur notre liberté. On ne doit point oublier que la secte, se recrutant, comme nous l’avons expliqué, parmi les intelligences d’élite, était, ou peu s’en faut, exclusivement composée de métaphysiciens qu’eussent effarouchés les révolutions, et de gentilshommes qui trouvaient leur compte au maintien du gouvernement de leur pays. On comprendra