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incompréhensible qui leur inspire à la fois l’admiration, la crainte, le respect, la confiance : ne sont-ce pas là les dispositions et les sentimens qui, dans toutes les civilisations et à toutes les époques, ont fait vivre et prospérer les religions ?

Par son enseignement moral, le socinianisme devait devenir aussi impopulaire que par sa doctrine métaphysique : en raison des lois de leur critique, les deux Socin nièrent la prédestination absolue et la corruption originelle ; ils élevèrent la liberté de l’esprit humain aussi haut qu’il était possible de l’élever. Ils firent dépendre de l’homme seul sa vertu, son salut, son bien-être éternel, mais c’était pour l’obliger à l’austérité la plus rigoureuse, pour lui inculquer un remords plus vif et plus amer, dans le cas où il viendrait à se dépraver. Aussi les masses ne se prononcèrent-elles point en faveur du socinianisme ; pour s’assurer leur sympathie, il aurait fallu, tout en proclamant la dignité, la puissance de l’homme, tout en reculant les limites de sa liberté morale, diminuer et amoindrir ses obligations.

L’œuvre des deux Socin embrasse tous les problèmes qui se rattachent au dogme de l’unité divine et au principe de la liberté humaine : sur ce dernier point, ils reproduisent l’opinion de Pélage ; sur le premier, celle d’Arius. Il y a deux livres qui renferment le plus laborieux et le plus sublime effort que l’esprit humain ait tenté au sujet de ce dogme et de ce principe, et notamment au sujet de la trinité chrétienne, envisagée sous le double point de vue de la pure métaphysique et de la tradition. Ce sont les Avertissemens aux protestans, de Bossuet, et les Dogmes théologiques d’un grand penseur depuis trop long-temps méconnu, le jésuite Pétau. Ce problème insondable, ils n’ont pu ni l’un ni l’autre le retirer des profondeurs mystérieuses où l’avaient laissé les Augustin, les Cyrille, les Chrysostôme, et tous ceux qui, durant dix-sept siècles, s’étaient agités à l’entour. L’idée capitale du christianisme, ce dogme d’un Dieu s’incarnant dans l’humanité, résolvait tous les problèmes que soulèvent la création et le gouvernement de ce monde ; elle mettait hors de cause les systèmes où s’était obscurcie l’idée de l’unité divine, depuis le déisme pur qui s’avouait impuissant à définir ou à exprimer l’Être suprême, et le reléguait loin des hommes dans les confuses régions d’une métaphysique inaccessible, jusqu’au matérialisme, ou, si l’on veut, jusqu’au fatalisme qui abandonnait tout aux chances du hasard. Mais on conçoit que, dans les sociétés savantes d’Alexandrie, de Constantinople, de Césarée, de Carthage, où la raison humaine, formée par la philosophie grecque et par les philosophies orientales, revendiquait toute son indépendance, on ne pouvait aveuglément accepter un Dieu en trois personnes parfaitement distinctes, dont la substance était pourtant une et indivisible. Aussi les uns, comme Noët et Praxée, prétendirent-ils que la substance de Jésus était distincte de la substance du père : c’était, en réalité, proclamer deux dieux, et ramener le monde aux désordres et aux superstitions de l’idolâtrie. Les autres, comme Sabellius, pour défendre l’unité divine ainsi compromise, supprimèrent les trois personnes et les remplacèrent par de