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par la science ; ses prodigalités, ses débauches, ses folies et ses excès de tout genre, qui, du reste, n’avaient pas peu contribué à le rendre célèbre, l’entraînèrent à de si ruineuses dépenses, que le public fut contraint de pourvoir aux frais de son enterrement. Marianus, fils de Barthélemy et deuxième du nom dans cette brillante dynastie de jurisconsultes et de savans, est le seul des nombreux enfans de l’éloquent jurisconsulte dont l’histoire des lettres italiennes ait gardé le souvenir. À peine âgé de vingt-cinq ans, Marianus occupait à Bologne la chaire que l’illustre Alciat y avait laissée vacante par son retour à Pavie. Le malicieux Panzirole, qui a écrit la vie des hommes éminens du xvie siècle, un peu trop peut-être à la façon de Lucien de Samosate, raconte que Marianus, ayant perdu sa femme après quarante-six ans de mariage, tomba dans une opiniâtre et amère tristesse ; ses meilleurs amis lui conseillèrent de chercher quelque distraction dans les plaisirs du monde, dans les galanteries et les dissipations : le bon vieillard ne suivit que trop bien leurs conseils ; il entreprit ces plaisirs, si l’on nous permet de parler ainsi, comme durant les plus belles années de sa vie studieuse il eût entrepris un traité de jurisprudence et de philosophie. Trois mois ne s’étaient pas écoulés qu’il était mort de lassitude et d’épuisement. Marianus était le père de Lélio Socin, le fondateur de la secte qui porte son nom.

Long-temps, on le voit, avant la crise religieuse qui a fait ressortir le génie énergique et vivace de Lélio et de son neveu Faustus, la famille des Socin avait produit plusieurs types extrêmement remarquables de cette étrange société du xve et du xvie siècle, dans laquelle, en fait de science et de zèle philosophique, les classes privilégiées luttaient avec les ordres monastiques, le magistrat avec l’évêque, le gentilhomme avec le moine, l’homme du monde avec l’homme du cloître. Lélio Socin n’avait point encore franchi les premières années de la jeunesse à l’époque où s’élevèrent les plus bruyantes dissensions entre les princes de la réforme. Destiné à l’enseignement du droit, il en chercha de bonne heure les fondemens dans l’Écriture, à l’exemple de ses ancêtres et de ses contemporains les plus renommés. Pour pénétrer le sens des textes sacrés, il épuisa l’étude des lettres grecques et latines, il se rendit familières les langues de l’Orient. Réglé dans ses mœurs et dans sa conduite, quelque peu séduit d’ailleurs par les maximes du stoïcisme, qui reprenait faveur au xvie siècle, il se livra sans réserve à la controverse religieuse et philosophique. Nous pouvons, tout en repoussant les exagérations de Panzirole, suivant lequel Lélio était de force à soutenir trois cents thèses en deux jours, affirmer que les critiques et les polémistes des universités italiennes avaient pour la plupart ressenti les coups de ce bras exercé, qui, plus tard, accomplissant une tâche plus haute, s’efforça de débrouiller au xvie siècle le chaos des controverses théologiques.

Jamais ce chaos n’a eu de plus épaisses ténèbres qu’à l’époque où éclatèrent les premières dissidences protestantes. Nous ne croyons pas que les annales humaines renferment un autre exemple de la résistance désespérée, inflexible, opposée par Luther, et en général par tous les chefs de la réforme, à ceux de