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tout, j’ai été le candidat de la gauche ; nos électeurs attendent de ma part l’opposition la plus franche et la plus vigoureuse. D’un autre côté, pour dominer la masse flottante dont il s’agit, il faudrait sans doute certaines concessions, il faudrait une sorte de programme conciliateur, il faudrait en un mot appuyer légèrement sur le centre gauche ; le puis-je ?

— Qui vous en empêche ?

— Le député : oubliera-t-il les promesses du candidat ?

— Louis XII a bien oublié les injures du duc d’Orléans.

— Plaisanter n’est pas répondre. Si je dévie d’un seul pas de la ligne que je me suis tracée dans ma circulaire électorale, que diront mes commettans ?

— Si ce n’est que vos commettans, répondit Dornier de l’air dont Tartufe s’écrie : Si ce n’est que le ciel ! je me charge de les mettre à la raison. Ce sera l’affaire d’un petit acte additionnel qui complétera votre profession de foi. Vous craignez d’être en contradiction avec votre première lettre ; on leur en bâclera une seconde. Il n’est pas d’électeur qui résiste à une circulaire convenablement assaisonnée d’épices patriotiques.

— Je n’en disconviens pas ; mais, vous avez beau dire, ma position est épineuse.

— Un enfant s’en tirerait. D’abord, j’espère que vous ne croyez pas au mandat impératif ?

— C’est un esclavage auquel je ne me soumettrai jamais, dit avec fierté M. Chevassu.

— En outre, avec la conscience de vos puissantes facultés, vous ne vous résigneriez pas sans doute à jouer à la chambre un rôle secondaire ou stérile. Quelle que soit votre modestie, vous connaissez votre valeur. L’emploi de brouillon systématique ne peut vous convenir ; vous vous sentez homme de gouvernement.

— Dornier ! Dornier ! interrompit le député en agitant son rasoir aussi noblement que si c’eût été un sceptre.

— Oui, je le répète, dussé-je vous déplaire, vous vous sentez homme de gouvernement. Il est donc tout simple que vous tendiez à votre centre. Et ne croyez pas que ce soit là une infidélité à vos principes ; ce n’est qu’une application morale des lois de la gravitation. Un homme comme vous traverse le côté gauche, mais n’y reste pas. Permettez-moi une comparaison. La carrière politique ressemble à un chemin de fer : on part de l’embarcadère de l’opposition pour arriver au débarcadère du pouvoir. D’abord on roule à toute vapeur,