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UN HOMME SÉRIEUX.

— Hum ! fit M. Chevassu, qui se rappela le vide opéré dans sa bourse par le Patriote Douaisien.

— J’ai prévu vos objections, et je crois être en mesure de les lever. Vous devez penser que je n’ai pas perdu mon temps depuis mon retour à Paris. Les députés dont je vous parle ont tous été vus, pratiqués, sondés par moi ou par des amis sûrs. Ils donneront leur patronage au journal ; les députés ne donnent jamais que cela, mais c’est beaucoup. Quant aux bailleurs de fonds, nous avons deux banquiers ; ces gens-là, en ayant l’air de sacrifier de l’argent, trouvent toujours le moyen d’en gagner. Au besoin, nous nous passerions d’eux, car, avec les souscriptions assurées dès aujourd’hui, nous pouvons vivre pendant un an. Vous voyez donc, mon cher maître, que l’affaire marche toute seule. Cependant, comme il est très important que vous ayez la haute main dans le journal, pour vous créer un titre, au point de vue financier, vis-à-vis des souscripteurs, il serait indispensable d’opérer un versement quelconque, cinquante mille francs, je suppose.

— Cinquante mille francs ! s’écria le député en se retournant si brusquement, qu’il s’entailla le menton.

— C’est beaucoup, j’en conviens, si l’on ne regarde que la somme en elle-même ; mais ce n’est rien si l’on envisage le résultat. Voici la chose en deux mots : nos trente députés sont en ce moment des épis épars, notre journal sera le lien qui les rassemblera en gerbe ; or, qui tiendra le lien emportera la gerbe.

— C’est pourtant moi qui vous ai enseigné cette logique claire et concise. Vous pourriez ajouter, pour compléter l’image, que qui emportera la gerbe recueillera le grain. Sans doute, c’est tentant ; mais cinquante mille francs…

— Tout autant, reprit Dornier avec un sourire jésuitique. Cependant, si je vous disais que Mme de Pontailly s’est engagée à verser pareille somme…

— Bah ! s’écria M. Chevassu, ma sœur, qui est carliste, donnerait cinquante mille francs pour fonder un journal patriote !

— Peu importe à Mme de Pontailly la couleur du journal, c’est un nouvel organe littéraire qu’elle veut soutenir,

— Je la reconnais bien là, murmura le député entre ses dents ; toujours pédante ! moi, du moins, si j’aventure quelque argent, j’ai mon but. Le projet, j’en conviens, mérite d’être examiné mûrement, et j’y ai consacré bien des méditations. Mais j’aperçois une difficulté que vous, jeune homme, semblez n’avoir pas même entrevue. Après