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UN HOMME SÉRIEUX.

accueillie sa première démarche, Dernier osa risquer une demande positive, reçut-il une réponse qui, sans être une promesse formelle, lui permettait de tout espérer.

— Nous verrons, lui dit le conseiller ; je ne suis pas de ces gens qui parlent d’une manière et agissent d’une autre. Je fais profession d’idées libérales, et je ne leur donnerai pas un démenti en mariant Henriette à un gentillâtre comme ce Moréal ou à un homme vendu au pouvoir. Ma fille aura de la fortune ; ainsi, que mon gendre soit riche, c’est ce qui m’importe peu. Ce que j’exige de lui, c’est de la sévérité dans les principes, de l’intelligence, de la capacité.

— Quant aux principes, je réponds des miens, répliqua Dornier sans s’inquiéter de ses variations passées ; quant à l’intelligence et à la capacité, je n’ose penser que je puisse satisfaire sur ce point vos légitimes exigences ; cependant, étant à si bonne école, il est impossible qu’il ne se développe pas en moi des facultés…

— C’est déjà fait, interrompit M. Chevassu d’un ton de bienveillance protectrice ; depuis votre arrivée à Douai, vous êtes évidemment en progrès ; vous vous formez chaque jour, je le dis à qui veut l’entendre. Peut-être nos conversations ne vous ont-elles pas nui.

— En doutez-vous ? Je dois à vos enseignemens tout ce que je peux valoir aujourd’hui. Avant de vous connaître, je n’étais qu’un écolier.

— Et maintenant vous pourriez professer.

— Ce que je professerai toujours du moins, c’est la plus vive reconnaissance pour vos leçons et pour vos bontés. Certes, il n’est pas besoin d’un lien nouveau pour m’attacher à vous ; cependant, si vous daigniez combler mes vœux…

— Je vous le répète, mon ami, nous verrons. Mais, avant de songer à marier Henriette, tirons au clair notre grande affaire. Ce pauvre Mougin n’a pas une semaine à vivre, c’est son médecin qui me l’a dit. Une élection est imminente, et il faut que nous soyons en mesure. Ici, vous ne me servez à rien, tandis qu’à Paris vous me serez fort utile. Ces messieurs du grand comité pourraient, par un malentendu, jeter quelque bâton dans mes roues. Empêchez cela, et vous m’aurez rendu un service que je n’oublierai pas.

— Je pars demain, et vous pouvez compter sur mon zèle ; vous avez en moi un Seïde.

— Qui pourra devenir un Ali, dit M. Chevassu en souriant complaisamment.

— Ah ! mon cher maître, s’écria Dornier d’un air d’exaltation ; si