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çait à lui inspirer le journaliste, si même ils n’en furent pas la cause première.

V.

Le Patriote Douaisien, cependant, poursuivait depuis deux ans une carrière mêlée de bien des vicissitudes. Au total, sa position était précaire. Les abonnés devenaient rares, et déjà le comité s’était vu forcé de faire un appel aux premiers souscripteurs, dont le dévouement parut sensiblement refroidi. Outre les germes de décadence qu’il portait dans son sein, le journal avait un ennemi acharné qui trois fois par semaine, les jours de publication, se levait matin et se tenait à l’affût, espérant toujours voir sautiller dans les colonnes du Patriote un petit délit bien gras, propre à régaler le jury. Ce vigilant ennemi, c’était, est-il besoin de le dire ? le parquet de la cour royale, dont le zèle, en cette occasion, ardait plus encore que de coutume, car messieurs du ministère public eussent trouvé bien doux d’administrer une correction fraternelle au magistrat inamovible qui se permettait une si indécente opposition. Le procureur-général surtout, sachant fort bien que c’était à son épitoge à trois rangs d’hermine que tirait sournoisement M. Chevassu, le procureur-général, disons-nous, avait juré une guerre d’extermination à la feuille que dirigeait son adversaire. L’apparence du délit qu’il guettait vainement depuis deux ans se présenta enfin au moment où il ne l’espérait plus.

C’était en 1834, au commencement du mois de juillet. Un matin, M. Chevassu vit arriver son fils Prosper, dont nous n’avons eu rien à dire depuis quelque temps, parce qu’à l’époque où avait été fondé le journal, il commençait son cours de droit à Paris. L’année scolaire était loin d’être finie, mais les personnes qui ont eu l’agrément de faire leur droit se rappelleront qu’après avoir pris l’inscription du mois de juillet, il n’est pas très difficile d’obtenir un congé de ses professeurs ; or, c’est à quoi ne manquent guère les étudians qui, ayant mangé par anticipation la pension qui devait leur suffire jusqu’au mois de septembre, se trouvent aussi dépourvus que la cigale, et n’ont rien de mieux à faire qu’à revenir dans leur famille, où ils savent que le veau gras les attend. L’année précédente, Prosper avait employé si heureusement cet expédient, qu’il n’avait pas hésité à s’en servir une seconde fois. Il arriva donc chez son père, trois jours après avoir pris sa huitième inscription. Son costume se composait