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d’organiser l’état politique de Cracovie et de mettre à exécution la charte qui lui était octroyée.

Ici commence entre le pays de Cracovie et les trois puissances, qui n’ont demandé que le droit de protéger ce petit état, une longue et douloureuse lutte. La jeune république essaie de conserver les libertés qui lui ont été données à la face de l’Europe, et la commission chargée de son organisation définitive les viole. Noble et généreuse résistance d’un côté, hypocrisie et mensonge de l’autre ; là, le sentiment de la justice, du droit des gens, de l’honneur national ; ici, la fourberie honteuse, l’envahissement progressif ; puis l’oppression la plus rude, sous un masque scandaleux de légalité, voilà ce qui s’est passé sous les regards des nations signataires du congrès de Vienne, voilà ce que la France et l’Angleterre ont vu et n’ont pas empêché.

Essayons de raconter maintenant les faits. Dans une violation pareille des traités les plus solennels, les faits parlent plus haut que le raisonnement. Nous n’avons qu’à dire de la manière la plus calme ce qui s’est passé, et en appeler à la pensée de nos lecteurs. Leur droiture jugera.

La commission organisatrice passa trois années à remplir la tâche qui lui avait été conférée, et, à la suite de ce long et habile labeur, la chambre des représentans se trouvait dépossédée du droit d’examiner la conduite du sénat sans l’assentiment du sénat lui-même, du droit de discuter le budget, et entravée dans le droit de mettre en accusation les fonctionnaires publics.

L’article relatif au commerce avait été en partie oublié, en partie faussé. Cracovie ne jouissait plus du droit de franchise accordé à ses produits indigènes, et un droit de sortie rigoureux était établi sur les denrées que cette ville tirait de l’Autriche.

L’université, dotée par la munificence des rois de Pologne d’un grand nombre de propriétés montant à une valeur de 5 millions de francs, était dépouillée de la plus grande partie de ses biens ; le gouvernement russe et le gouvernement autrichien enlevaient à leurs sujets le droit d’étudier dans cette université.

Le premier pas une fois fait dans cette voie de perfidie, les trois cours décorées du nom de cours protectrices n’avaient qu’à marcher en avant ; le traité du congrès de Vienne avait été dénaturé, tronqué, lacéré, le rempart de l’inviolabilité ruiné en tout sens ; le peuple, qui d’abord l’avait regardé comme une barrière inattaquable, perdait confiance. La lice était ouverte à la cabale et à l’ambition.

En 1828, l’assemblée législative ayant repoussé pour la présidence du sénat le candidat adopté par les trois cours souveraines, leurs résidens cassent aussitôt l’élection, suspendent les délibérations de la diète, et déclarent qu’ils remettent tous les pouvoirs entre les mains du sénat jusqu’à ce qu’ils aient fait aux institutions publiques les changemens dont l’expérience leur a démontré la nécessité. Deux années se passent dans cet état provisoire ; la révolution de Pologne éclate ; la vieille capitale du royaume ne pouvait rester indifférente à l’élan enthousiaste de ses frères, à leurs cris de liberté. Sans