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le salon de Mme de Pontailly, et elle y aurait l’immense mérite de la nouveauté. Vous magnétiseriez Dornier et lui feriez confesser qu’il n’est qu’un vil coquin, ce qu’il n’avouerait jamais éveillé. Voilà ce qui serait un coup de maître.

— Jamais je n’ai autant regretté de ne pas posséder la puissance magnétique.

— Mais que diantre savez-vous donc ? reprit le vieillard avec un dépit affecté ; vous figureriez-vous, comme tant d’autres étourdis, que monter à cheval, danser, faire des armes et fumer des cigares suffisent, après les études du collége, à compléter l’éducation d’un jeune homme ?

— Je sais un peu de musique, je chante au besoin, répliqua Moréal en songeant aux succès de salon que lui avait valus son la de poitrine.

— Vous chantez ! j’en suis fort aise, dit le marquis avec une ironie renouvelée de la fourmi de la fable ; ah ! vous chantez ! Belle recommandation près d’une femme qui a eu une voix charmante ; depuis dix ans, Mme de Pontailly ne chante plus, et chez elle la musique est proscrite. Si vous n’avez que cette corde à votre arc…

Le vicomte hésita un instant.

— Il m’est arrivé quelquefois, comme à tout le monde, de faire des vers, dit-il enfin avec une sorte de timidité.

— Eh ! maugrebleu, que ne le disiez-vous tout de suite ? Voilà une heure que je me creuse la cervelle pour vous trouver une entrée en scène, et vous l’avez dans votre poche. Ainsi donc, vous êtes poète ; je l’ai été aussi dans ma jeunesse, moi qui vous parle. Oui, mon cher vicomte, j’ai fait la cour aux muses. J’ai bu à la source d’Hippocrène, j’ai monté Pégase. Vous voyez que je ne suis pas un profane et que vous pouvez me lire vos vers.

— Je crains qu’ils ne soient indignes de votre attention, dit le vicomte avec cette humilité plus ou moins sincère qui en pareil cas ne fait jamais défaut à un arrangeur de rimes.

— Pas de modestie, reprit le vieillard, je n’y crois plus. Lisez-moi un échantillon de vos vers, je vous dirai franchement ce que j’en pense. Il faudrait qu’ils fussent bien mauvais pour ne pas valoir ceux qui sont applaudis journellement dans le salon de ma femme.

Moréal se dirigea vers le secrétaire qu’il avait laissé ouvert, et prit dans un des tiroirs un assez gros cahier. C’était un vrai manuscrit d’amateur, correct, aligné, sans ratures, un de ces honnêtes recueils dont les pages, écrites de chaque côté, offrent une telle perfection