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LA RUSSIE.

et le pauvre peuple, long-temps opprimé, devait jouir des plus douces prérogatives. L’empereur Alexandre se faisait remarquer parmi ces diseurs de belles paroles. Il briguait les honneurs de la popularité, et manifestait le désir de conquérir l’amour et la confiance de la nation polonaise ; mais il n’était pas au fond plus sincère que les autres : il possédait seulement à un plus haut degré l’art de la dissimulation. Aujourd’hui on sait quels plans il avait conçus, et les Polonais ne les séparent pas de ceux de Catherine, de Paul et de Nicolas.

Ce fut donc lui qui fit rédiger, par un homme pour lequel il professait une estime particulière, la constitution de Cracovie, qui la fit accepter par le congrès de Vienne, et sanctionner par le traité additionnel du 3 mai 1815. Aux termes de cette constitution, la souveraineté de la nouvelle république était répartie entre trois pouvoirs : pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Le premier, formé par la chambre des représentans, avait dans ses attributions le contrôle de l’exécution des lois, l’examen des comptes de l’administration, la nomination des sénateurs et des magistrats, la faculté de les mettre en accusation et de les traduire à sa barre, et le droit exclusif de statuer sur le budget. Le sénat, ou pouvoir exécutif, dirigeait l’administration, la police, la force armée, et possédait seul l’initiative des projets de lois. Le pouvoir judiciaire était composé de magistrats inamovibles, jugeant les affaires civiles et criminelles en dernier ressort, et ne pouvant être nommés que par la chambre des représentans et destitués par la diète. La liberté de la presse, la publicité des débats judiciaires et politiques, l’introduction du jury en matière criminelle, stipulée expressément dans la charte de Cracovie, complétaient le système de garanties accordées au peuple.

L’article VIII du traité additionnel de Vienne, en défendant à la ville de Cracovie d’établir sur son territoire aucun impôt de douane ou d’octroi, en faisait par là même un port franc, lequel port, dit M. Krolikowski, « par son étendue de soixante-seize lieues carrées, par sa position géographique plus rapprochée du nord et de l’est de l’Europe que les places de foires les plus renommées de l’Allemagne, par les priviléges de son organisation politique aurait pu, un jour, rivaliser avec Leipzig et Francfort. » L’article X du même traité accordait aux habitans de Cracovie tous les avantages octroyés, sous le rapport du commerce, de la navigation, aux sujets de l’ancien duché de Varsovie, partagé entre l’Autriche, la Prusse et la Russie. Le commerce de transit devait jouir d’une pleine et entière liberté, et les habitans de Cracovie, ne pouvant établir aucune taxe sur les produits des puissances limitrophes importés sur son territoire, devaient, par une loi de réciprocité, conserver la même franchise pour leurs propres produits. L’article XV garantissait l’existence de l’université, le maintien de ses priviléges et de ses dotations, et la liberté aux étudians des pays limitrophes dans cette université.

Toutes ces conditions fondamentales étant ainsi réglées, les cours d’Autriche, de Prusse et de Russie furent investies du titre de hautes cours protectrices de la nouvelle république, et formèrent une commission chargée