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REVUE DES DEUX MONDES.

Mme la marquise de Pontailly ! répéta M. Chevassu en accentuant chaque syllabe avec une affectation ironique ; vous avez manqué votre vocation, mon cher ; vous auriez dû naître gentilhomme. Par la comtesse d’Escarbagnas ! le titre et le nom de ma sœur sonnent pompeusement dans votre bouche. Mais, si vous croyez qu’elle soit capable de se lever à cinq heures du matin pour avoir le plaisir d’embrasser sa nièce quelques instans plus tôt, vous vous trompez étrangement. Ma sœur est trop femme du grand monde pour agir d’une façon si bourgeoise. Ainsi donc, Henriette, tu auras le temps de te reposer et de déjeuner avant qu’il soit jour chez ta noble tante, et puis tu ne seras sans doute pas fâchée de faire un peu de toilette. Eh bien ! qu’as-tu donc ? tu ne m’écoutes pas.

Mlle Chevassu, qui jusque-là n’avait pris que fort peu de part à ce dialogue, y semblait depuis un instant complètement étrangère. Cette inattention avait une cause qu’il est nécessaire d’expliquer. La jeune fille, en regardant autour d’elle, comme il arrive souvent aux personnes qui assistent à un entretien sans intérêt, venait d’apercevoir dans un coin de la cour, à demi caché derrière une malle-poste, l’homme au manteau dont nous avons parlé en commençant ce récit. À cette découverte, qui peut-être n’était pas tout-à-fait imprévue, sa physionomie, jusqu’alors froide et hautaine, changea subitement d’expression et s’épanouit comme une fleur que le soleil ranime après la gelée. Une rougeur éclatante inonda son frais visage, tandis que sa tête se baissait avec une sorte de confusion ; elle demeura immobile, n’osant plus lever les yeux, et savourant, dans un doux recueillement, une de ces émotions qui n’appartiennent qu’à la jeunesse et qui donnent à la beauté un charme de plus.

— Henriette, je vous parle, reprit vivement M. Chevassu.

— Je vous entends fort bien, mon père, balbutia enfin la jeune fille, arrachée de son extase par cette voix qui, nous devons l’avouer, lui parut fort discordante, quoiqu’elle appartînt à l’auteur de ses jours.

— Alors pourquoi ne me répondez-vous pas ?

— Mademoiselle Henriette vient à Paris pour la première fois, dit Dornier d’un ton mielleux, il n’est pas étonnant que le bruit, le mouvement…

— C’est vrai, interrompit la jeune fille, empressée de saisir une excuse de quelque part qu’elle vînt : il me semble si étrange d’être à Paris, qu’il faut me pardonner d’être distraite.

Pendant ce temps, Prosper s’était occupé de faire transporter les