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UN HOMME SÉRIEUX.

avait allumé sa colère. Il échangea une poignée de main avec Dornier, et s’adressant ensuite à sa sœur :

— A-t-on descendu mon fusil ? lui dit-il ; et mes fleurets ? et mon cornet à piston ? et ma boîte de pistolets ?

— Vous ne demandez pas de nouvelles de votre code ? lui dit son père avec un accent de sévérité.

— C’est que je sais qu’il est précieusement serré dans ma malle, répondit l’étudiant d’un ton léger.

M. Chevassu redoubla de gravité, et tira de sa poche un petit volume compact, à tranche multicolore.

— Ce livre si précieusement serré dans votre malle, le voilà, dit-il ; vous l’aviez laissé à Douai sur votre bureau, et c’est moi qui ai dû réparer votre oubli. Il me semble pourtant que, dans votre position, le code devrait vous intéresser au moins autant que votre cornet à piston, votre chien et tout cet attirail de guerre dont vous avez encombré la voiture.

— Mon père, répliqua Prosper sans paraître déconcerté par cette réprimande, vous savez que, si je fais mon droit, ce n’est point par goût, mais par obéissance ; n’exigez donc pas que je feigne pour ce grimoire une passion à laquelle il vous serait impossible de croire.

Après avoir articulé d’un ton ferme cette protestation contre les études qui lui étaient imposées par la volonté paternelle, le jeune étourdi prit le livre, objet de son antipathie, et, ouvrant la gueule de Justinien, il le lui fourra irrespectueusement entre les mâchoires.

— Porte-moi ça, mon brave, dit-il au chien, qui accepta ce dépôt d’un air honteux et craintif, et, si tu as l’esprit de l’avaler pour ton déjeuner, apprends que tu auras bien mérité de ton maître.

— Vous voyez ! dit le député en jetant à Dornier un amer sourire, auquel celui-ci répondit par un regard de compassion respectueuse.

— Tout ton bagage est dans le bureau avec nos malles, dit la jeune fille à son frère, dans le but d’opérer une diversion ; tu devrais envoyer chercher des voitures.

— J’ai devant la porte deux voitures de place, l’une pour vous, l’autre pour les malles, s’empressa de dire M. Dornier.

— En vérité, vous êtes un homme incomparable, dit M. Chevassu ; vous pensez à tout. Henriette, il est trop tôt pour te conduire chez ta tante ; provisoirement tu vas venir avec nous à l’hôtel Mirabeau.

Mme la marquise de Pontailly sait que la malle-poste arrive de très bonne heure, reprit l’officieux ; elle me disait hier qu’elle espérait que vous lui amèneriez mademoiselle aussitôt après votre arrivée.