Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/851

Cette page a été validée par deux contributeurs.
845
UN HOMME SÉRIEUX.

transport l’être obséquieux dont on sait maintenant le nom ; eussions-nous eu dix degrés au-dessous de zéro, vous deviez être bien sûr de me trouver ici. Pour rien au monde, je n’aurais cédé à un autre le plaisir d’être le premier à saluer votre heureuse arrivée à Paris, et à vous féliciter au sujet du glorieux évènement qui vous y amène. Mon cher maître, car je m’honorerai toujours de vous donner ce titre, mon digne monsieur Chevassu, le département du Nord va donc enfin être représenté d’une manière digne de lui !

— Dornier, vous me flattez, dit M. Chevassu, dont le visage austère s’éclaira d’un sourire d’encouragement.

— Je ne suis que l’écho de l’opinion publique. Oui, la nouvelle de votre élection a causé une joie générale ; mais j’ose dire cependant que personne autant que moi n’a pris part à votre triomphe.

— Je le sais, mon cher Dornier, je le sais.

Tout en continuant ses protestations de ravissement et en étreignant d’un air d’effusion la main que le nouveau député lui abandonnait avec condescendance, M. Dornier dirigeait sur l’intérieur de la malle-poste un feu roulant de sourires, de regards et de saluts ayant pour but unique une jeune femme qui se disposait à descendre de la voiture. Cette pantomime galante n’obtint en retour qu’une légère inclination de tête, et la personne qui en était l’objet témoigna d’une manière non équivoque son peu de sympathie en s’élançant légèrement à terre sans accepter la main qui s’apprêtait à la soutenir.

Malgré ce petit échec, M. Dornier continua ses saluts et ses sourires en homme trop aguerri à un froid accueil pour se laisser facilement déconcerter.

— Il est inutile de demander à mademoiselle Henriette des nouvelles de sa santé, dit-il d’une voix insinuante ; la fraîcheur de son teint et l’éclat de ses yeux me disent qu’elle se porte à merveille.

La fille du député du Nord était une jeune personne de dix-huit ans, douée d’une de ces beautés fières et spirituelles, qui pour paraître imposantes n’ont pas besoin de mûrir. Cette dignité précoce donnait à son œil noir et étincelant plus d’empire qu’il ne semble appartenir à l’adolescence, et modifiait l’habitude un peu sardonique de son sourire. En cette circonstance, ces deux expressions se fondirent en un regard gravement dédaigneux, qui, après avoir frappé le faiseur de complimens, se détourna aussitôt, comme s’envole un oiseau quand par mégarde il s’est posé sur de la boue.

Quoiqu’il fût habitué depuis long-temps à comprimer toute émo-