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LA RUSSIE.

l’ancien château des rois, rebâti par Casimir-le-Grand, enrichi par ses successeurs, dévasté par les Autrichiens. Lelaboureur, qui accompagna Marie de Gonzague en Pologne, et qui nous a laissé une intéressante relation de son voyage, parle de cet édifice avec admiration : « Le château est, dit-il, une pièce d’architecture aussi accomplie que l’on puisse voir, et très digne de la majesté d’un monarque puissant. Il a beaucoup de rapport au dessin du château Saint-Ange à Rome et me semble plus esgayé, mais il a moins d’étendue. C’est un grand corps-de-logis de pierre de taille, avec deux ailes autour d’une cour carrée, décorée de trois galeries où se dégagent tous les appartemens. Ces galeries sont, comme les chambres, parquetées de carreaux de marbre blanc et noir en rapport ; elles sont décorées de peintures et de bustes de césars, et rien ne se peut égaler à la beauté des lambris des chambres du second étage, qui est le logement des rois et des reines. C’est véritablement la plus belle chose que j’aie vue pour la délicatesse de la sculpture et pour les ornemens d’or moulés et de couleurs très fines. Dans la chambre principale sont les trophées du roi Sigismond, avec mille patergnes et mille enjolivemens au ciseau qui sont admirables, d’où pendent en l’air plusieurs aigles d’argent qui sont les armes de la Pologne, que la moindre haleine de vent fait voltiger doucement, leur donnant une espèce de vie et de mouvement si naturel, que l’imagination en est aussitôt persuadée que les yeux. »

En gravissant les escaliers, en parcourant les galeries de ce château, on n’y retrouve plus aucun des ornemens décrits par notre naïf compatriote ; mais ses murailles épaisses, ses vieilles tours, lui donnent encore un aspect imposant, et les héroïques souvenirs qui peuplent son enceinte lui impriment un caractère auguste. Ce château a vu passer sous ses voûtes six dynasties puissantes. Il a vu un de nos princes s’asseoir sur le trône des Jagellons, et deux femmes de France, Marie de Gonzague et Marie d’Arquien, porter le sceptre et la couronne de Pologne. Les descendans du grand Gustave Wasa y ont reçu les insignes de la royauté, puis les descendans des électeurs de Saxe, puis le noble Stanislas Lesczynski, dont une de nos provinces bénit encore la mémoire, et enfin le léger amant de Catherine. Ce château a vu les princes et les ministres étrangers courber la tête sous ses lambris dorés, il a vu défiler dans sa grande cour les starostes et les palatins avec leurs vêtemens étincelans de pierreries et leur cortége fastueux. Les nefs de son église ont été tapissées de fleurs, inondées de parfums ; ses autels ont été décorés d’étendards victorieux, ses arceaux ont retenti des hymnes du sacre, des cris d’amour et de dévouement d’un peuple enthousiaste. À présent, c’en est fait de ces jours de splendeur, de ces fêtes nationales qui attiraient les regards de l’Europe entière. Le château a été dépouillé de ses richesses, l’église des couronnes des rois ; elle n’a gardé que leurs cercueils. Là reposent sous le doigt de la mort tous ces cœurs agités dont le trône excitait les battemens impétueux ; là se déroule sur la pierre sépulcrale toute une histoire de cinq siècles, souvent funeste et souvent sublime. Là sont les monumens de Boleslas, de Casimir-le-Grand, d’Étienne Batory, du valeureux Jean III, et la chapelle